Dire, une fois encore, quarante après, que l’Algérie est non seulement partie prenante dans le conflit du Sahara, mais qu’elle en est à l’origine, est d’une redondance affligeante. Tout se passe comme si certaines vérités sont tellement flagrantes qu’on a du mal à les reconnaître comme telles. Les derniers développements de la question du Sahara ont remis au goût du jour cette lapalissade quarantenaire. Après un désaccord de calendrier avec Rabat, et un bref crochet par la Mauritanie pour donner à son périple un aspect régional, Ban Ki-moon s’est beaucoup plus attardé à Alger que dans les camps de Tindouf. Les déclarations dont il s’est fendu ont été jugées, à bon droit, aux antipodes de sa fonction et de son obligation de neutralité. Elles ont fait couler beaucoup d’encre au Maroc et un peu partout dans le monde. Pour autant, cela ne pouvait pas l’empêcher d’avoir au moins une certitude, à savoir qu’il avait bel et bien les pieds en Algérie, en étant à Tindouf, tout comme à Alger la capitale. A ce niveau-là d’une géographie primaire, le doute n’est pas permis. Pas plus d’ailleurs que les notions premières d’une géopolitique dont il est supposé en avoir le sens à fleur de peau.
En fait, c’est cette dimension, ravivée par les dérapages du secrétaire général de l’ONU, qui a été durement ressentie par le commun des citoyens. Une profonde injustice, vous dira le chauffeur de taxi, volontiers répercuteur d’un sentiment général. Une «Hogra» insupportable, pour reprendre un terme cher à nos voisins de l’est. Du coup, les questions fusent. Pourquoi tant de hargne au plus haut niveau de la république d’Alger ; tant de harcèlement médiatique systématiquement désobligeant ; tant d’assiduité à vouloir inculquer une véritable culture de haine entre les deux peuples ? Pourquoi cette dépense inouïe d’énergie et de moyens, sur toutes les tribunes de la diplomatie internationale, juste pour entraver la volonté légitime du Maroc à parachever et préserver son intégrité territoriale ? Le fameux principe du » droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » n’est qu’un faire-valoir qui a volé en éclats lorsque Abdelaziz Bouteflika a proposé, en 2002, le partage de l’ancienne colonie espagnole en cédant à l’Algérie la partie sud, évacuée par la Mauritanie en 1979. Exit donc le sacro-saint principe. Quant au référendum, qui devait servir d’outil opératoire pour la création d’un Etat croupion, il s’est révélé impossible, de l’aveu même des instances de l’ONU. Ceci pour dire que les voies empruntées par l’Algérie sont sans issue. Pour sa part, le Maroc n’a cessé de rappeler que le statut d’autonomie élargie pour le Sahara, sous sa souveraineté, est la dernière et ultime offre qu’il peut consentir. Au-delà du projet qui consiste à amputer le Maroc d’une partie de son territoire, ce que l’Algérie cherche, en définitive, c’est un Maroc affaibli, économiquement exsangue, socialement en ébullition permanente et politiquement instable. Sans basculer dans une béatitude de Béni-oui-oui, c’est plutôt le contraire qui se produit actuellement. On efface un Maroc qui bouge, en interne comme en direction de sa profondeur africaine ; même si beaucoup reste à faire et à parfaire. Ce Maroc-là indispose l’Algérie au plus haut point. Quoi de mieux, pour casser cette dynamique, que de pousser la question du Sahara jusqu’à l’intolérable. Nous étions pratiquement dans la même configuration lors de la guerre des sables, en 1963. Il s’agissait de définir le tracé des frontières que l’Algérie a voulu et obtenu qu’il soit totalement en sa faveur. Des immensités potentiellement pétrolifères, dont Tindouf entre autres, sont passées sous son contrôle. Pas besoin d’être expert en géostratégie pour en arriver à la mère des questions : que reste-t-il à mettre sur la table lorsque toutes les options pacifiques se sont avérées vaines ? Carl Von Clausewitz disait, au 19ème siècle, dans son précis intitulé «De la guerre», que «la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens». Cette perspective serait calamiteuse pour les deux pays, à tout point de vue et dans tous les domaines. Or, c’est malheureusement le choix que l’Algérie semble avoir fait. Autrement, comment expliquer sa course effrénée à l’armement et ses commandes militaires faramineuses, au grand bonheur des marchands de canons de tout horizon et de leur clientèle de tout acabit, à commencer par le carré des généraux d’Alger. Contre qui l’Algérie compte-t-elle utiliser cet arsenal colossal, hormis ses propres révoltés aux couleurs islamistes ? Les puissances commanditaires des guerres régionales, qui ravagent actuellement le monde arabe, comprennent-elles que tout alignement sur les positions algériennes est un encouragement aux va-t-en guerre ?
Pas vraiment, tant que cela sert leurs intérêts immédiats et leurs stratégies à terme. Emboîtant le pas à la mondialisation économique, l’Occident semble avoir opté pour la délocalisation des guerres. Le Maroc ne veut surtout pas que le nord-ouest africain subisse le même sort. A quel prix et jusqu’à quand, sachant que le seuil de l’intolérable passe par son intégrité territoriale.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION