La mainmise militaire française sur le Maghreb n’est pas seulement une affaire d’armes. L’impact psychologique sur les populations colonisées passe aussi par l’humiliation sexuelle…
Les exactions sexuelles entreprises par l’armée coloniale demeurent aujourd’hui encore un grand tabou de l’Histoire. Commises dans tout le Maghreb en temps de troubles, elles permettent de «récompenser» les soldats et en même temps d’humilier l’adversaire. Dans ce domaine, les autorités coloniales institutionnalisent également le phénomène. Dans les trois pays du Maghreb et ailleurs, sont organisés les BMC ou bordels militaires de campagne. L’historienne française Christelle Taraud, auteure de La prostitution coloniale. Algérie, Tunisie, Maroc (1830-1962) évoque un «monde opaque, sous contrôle total de l’armée, éloigné de la centralité, des villes […] Dans les BMC, le droit du conquérant s’exerce avec sa dimension raciale. Comment humilier davantage les hommes qu’en prenant leurs femmes ?». Mais les sévices d’ordre sexuel dépassent toujours les cadres fixés par les institutions. Le sexe comme arme de guerre, bien qu’utilisé contre les insurgés marocains et tunisiens, explose réellement avec la guerre de libération algérienne. Le viol est utilisé comme un acte de terreur ou de représailles comme en témoigne un soldat cité dans l’ouvrage « Sexe, race et colonies » : «Suite à l’assassinat d’un jeune lieutenant, des représailles ont lieu. Quatre-vingts hommes sont fusillés. Quant aux femmes… [Elles] sont restées dans les villages, chez elles. Ordre leur fut donné de laisser les portes ouvertes et de séjourner isolément dans les différentes pièces de chaque maison. Le douar fut donc transformé en un populeux BMC, où furent lâchées les compagnies de chasseurs alpins ou autres légionnaires». Les femmes algériennes ne sont pas les seules victimes de la barbarie. Les hommes aussi sont parfois soumis à des atrocités perverses telles que les émasculations qui «constituent une terrible menace qui hante les imaginaires et alimente le fantasme d’indigènes primitifs et impulsifs», selon Christelle Taraud. Bien entendu, les chiffres concernant ses sévices sont impossibles à déterminer. Mais au vu de la longueur du conflit franco-algérien (1954-1962), nul doute que des milliers de victimes sont à déplorer. Difficile aussi de ne pas désigner de responsables toujours selon l’historienne : «Il est strictement impossible que les autorités civiles et politiques des métropoles coloniales n’en aient pas été informées. Bien des textes cités ici ont été publiés
-mais souvent censurés- au cours même de la guerre. Mais les gouvernants agirent avec la même désinvolture cynique vis-à-vis du viol que dans la négation de l’usage de la torture». L’heure des comptes ne semble toujours pas arrivée.