Dans sa forme moderne, le théâtre marocain a d’abord été une arme utilisée contre l’oppression. Des grands noms du nationalisme n’ont pas hésité à la dégainer…
Ce n’est sûrement pas un hasard si les premières représentations marocaines s’insurgent contre le Protectorat. En effet, les précurseurs de l’écriture dramatiques ne sont autres que les premiers nationalistes marocains. Entre Abdelhak Torrès au Nord et Mohamed El-Qorri au Sud, le courant nationaliste semble s’engouffrer dans la brèche qu’offre le théâtre pour exprimer le malaise de la société marocaine face à la colonisation. Les premiers efforts d’introduction du théâtre au Maroc sont fournis par le Protectorat. Conforme à la mission civilisatrice dont il se veut le chantre, Hubert Lyautey se charge personnellement de la supervision de la construction du premier théâtre casablancais au cours des années 1920. Prévu comme étant provisoire, ce bâtiment est finalement baptisé «Théâtre Municipale». Bien entendu, l’édifice n’est pas pensé pour former de jeunes troupes de comédiens marocains, mais plutôt pour importer une culture dont sont friands les résidents français. A l’image des autres pratiques artistiques, les Marocains ne sont pas conviés à faire partie du public qui profite de l’avènement du théâtre. C’est donc légitimement vers un autre horizon que vont se tourner les regards des futurs dramaturges et metteurs en scène marocains. A l’aube des années 1930, la région du Proche6Orient est le foyer du nationalisme arabe. De grands penseurs libanais ou égyptiens tentent de secouer l’apathie qui caractérise les pays arabo-musulmans. Parmi les exercices littéraires en vogue dans cette région, l’art de la dramaturgie et de l’écriture théâtrale sont particulièrement prisés. Au Maroc, le nationalisme émergeant se tourne logiquement vers cette école de pensée. C’est donc dans le sillage de ce bouillonnement intellectuel que des hommes tels que Saïd Hajji ou Mohamed El-Qorri s’essayent à l’écriture théâtrale. Ce dernier va même jusqu’à mettre en scène et jouer dans ses propres créations. Connu pour son militantisme acharné qui le conduit d’ailleurs à succomber sous les tortures françaises, Mohamed El-Qorri l’est aussi pour avoir créé l’hymne national marocain. Il est également parmi les premiers à collectionner une bibliographie théâtrale conséquente dont on retiendra quelques pièces comme «L’orphelin», «La science» et «Les tuteurs». Confinés à la quasi clandestinité, les jeunes auteurs nationalistes peinent à promouvoir leur idée à travers le théâtre, encore trop peu connu de la masse des Marocains. Au final, ils tentent néanmoins de profiter de cette nouveauté culturelle française par la forme, tout en s’inspirant pour le fond de la pensée du nationalisme arabe.