À tous ceux qui m’ont fait l’honneur de me lire depuis plus de quatre ans, je dis au revoir. Je m’absenterai de Zamane quelque temps. Les raisons de cette éclipse relèvent de mon propre équilibre interne. Depuis mes années de jeunesse, je me suis construit en alternant phases d’engagement, d’activisme, de course quotidienne à l’implication dans différentes causes citoyennes et phases de ressourcement, de remise en cause, de déconstruction des paradigmes et des concepts, et de reconstruction ouvrant la voie à de nouveaux engagements.
Les cycles d’activisme étaient en moyenne de deux ans, ceux de ressourcement de trois à quatre mois et une fois, la méditation s’est prolongée à six mois. Elle coïncidait avec un changement de cap académique. Je suis passé à l’époque (1979) du domaine des mathématiques à celui des sciences sociales.
Avec l’équipe de Zamane et de son directeur de publication Youssef Chmirou, mon engagement dure depuis plus de quatre ans. C’est une exception, comparée à mes expériences passées. Je suis essoufflé et j’ai un grand besoin de me ressourcer. Ainsi, j’ai pris la décision de prendre un peu de distance avec Zamane et avec le pays, puisque mon ermitage se passera en Europe, comme les autres fois où j’ai ressenti le besoin de me déconnecter des réalités qui me sont chères. J’aurais pu me limiter à la formule en vogue et courante « Je pars pour des raisons personnelles », mais je crois que le lien privilégié qui lie un porteur de plume à ses lecteurs commande d’expliquer un peu plus les raisons d’un silence, quoique limité dans le temps.
Il y a plus de quatre ans, en juillet 2010, j’ai été contacté par Youssef Chmirou et un rédacteur en chef de l’époque. Ils m’ont mis au courant de leur projet de fonder un magazine donnant à l’Histoire une place centrale. Un média ciblant le grand public et non seulement les chercheurs. J’avais à mon crédit deux expériences journalistiques singulières : celle du Journal Hebdomadaire (2005-2006), et celle des dossiers de L’Économiste (2009 -2010). Cette dernière expérience était encore en cours. Je coordonnais une équipe d’historiens, dont mes collègues Lotfi Bouchentouf, Tayeb Biad et Ahmed Achaâbane. Aussi, j’ai mis deux conditions à mon engagement. D’abord de ne pas traiter les sujets déjà en préparation pour L’Économiste ; il s’agit là d’une question de déontologie. Ensuite, le devoir d’associer mes collègues précités au projet Zamane ; c’est une question non seulement de fidélité, mais surtout de lien stratégique au sein du champ scientifique. On se forme avec ses pairs et on a des incidences appréciables qu’en travaillant en équipe. Les initiateurs de Zamane ont trouvé des compromis positifs quant à mes exigences. Alors commença le travail de fond, celui de penser la ligne éditoriale, de la traduire dans un rubriquage dynamique et de la caler sur une belle maquette. Ainsi commença l’aventure Zamane.
De par la ligne éditoriale qui place Zamane comme intermédiation entre la communauté des historiens professionnels et le grand public des lecteurs, et la nature complexe du monde des annonceurs, je ne voyais l’expérience Zamane que comme une parenthèse dans le champ médiatique. Les chocs éventuels entre histoire et mémoire que risque de provoquer Zamane, et l’encadrement sécuritaire du champ médiatique me poussaient à dire que Zamane ne publiera pas plus de six à sept numéros. J’avais tort. Zamane s’est taillé une place particulière dans le champ médiatique marocain. Ses versions française et arabe totalisent 67 numéros. Mieux encore, Zamane est aujourd’hui une référence, une valeur ajoutée, aussi bien à la production des journalistes qu’à celle des historiens. Le comité scientifique de Zamane est passé de deux à sept historiens forts respectés au niveau national et international. Quant aux journalistes de Zamane, en dépit de leur jeune âge, ils sont en passe de devenir des professionnels de l’investigation, articulant synchronie et diachronie au bonheur de nos lecteurs, plus précisément la majorité d’entre eux. Car Zamane a blessé, sans le vouloir, certaines mémoires familiales et a dérangé quelques détenteurs de pouvoir (sociaux et politiques) de par son choix moderniste affirmé et assumé.
Je suis confiant quant à l’avenir de Zamane. L’équipe complète qui veille, chaque mois, à la production des deux magazines, arabe et français, ainsi que les deux sites web, converge les efforts de la rédaction, des infographistes et de l’administration, pour livrer un produit de qualité aussi bien au niveau contenu, qu’au niveau technique et artistique. Un challenge relevé chaque mois. Il va sans dire que sans le lectorat de Zamane et sa fidélité, sans la communauté des historiens et leur générosité, et sans l’engagement et le soutien effectif d’une minorité d’annonceurs, Zamane n’aurait pas la notoriété qui est la sienne au Maroc. Je pars donc à mon ermitage avec sérénité et je vous dis tous : ce n’est qu’un au revoir !
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane