Quand s’affrontent des personnalités aussi différentes que le Pape, un général français, un éminent alim nationaliste et un imam…
Tout commence en janvier 1952. Lors d’une causerie donnée au collège Moulay Idriss de Fès, devant un public de jeunes filles proches des milieux nationalistes, le fqih Abdelwahed Benabdellah, alors imam de la mosquée Moulay Slimane de Rabat, vante les mérites d’une certaine Jeanne d’Arc. Il est peu probable que le fqih ait nourri l’espoir qu’une Jeanne d’Arc se révèle parmi son auditoire, et qu’elle remporte une victoire aussi inespérée qu’éclatante sur l’occupant, comme ce fut le cas de la « pucelle d’Orléans » cinq siècles plus tôt. Mais la référence n’est pas anodine : Jeanne d’Arc reste une figure incontournable de l’Histoire de France, un symbole du nationalisme hexagonal, notamment récupéré par le Front National de Jean-Marie Le Pen. Il en résulte qu’en prenant pour exemple Sainte Jeanne, cette jeune paysanne mue par sa foi chrétienne et sa loyauté envers le roi de France, et dont le seul mot d’ordre n’était autre que «bouter les Anglais hors du royaume», le fqih Benabdellah faisait un joli pied de nez au résident général.
Bouter les Français hors du royaume
Le Maroc à cette époque est, comme chacun sait, sous protectorat français depuis 1912. Selon l’acte international qui a légalisé sa présence au Maroc, la France doit aider le Maroc et son sultan à «instituer un nouveau régime comportant les réformes administratives, judiciaires, scolaires, économiques, financières et militaires (…) utiles», tout en sauvegardant la souveraineté du sultan et l’intégrité des ses territoires. Mais entre la théorie et la pratique, il y a un monde. Et dans les faits, l’esprit du protectorat n’a jamais été respecté par les résidents généraux français. L’administration directe du territoire a transformé le pays en simple colonie, et a cantonné les Marocains y compris le sultan dans un «état de minorité» et de marginalité.
Par Moustafa Bouazziz
La suite de l’article dans Zamane N°1