Pourquoi le dossier du Sahara marocain piétine-t-il dans les tiroirs de l’ONU depuis deux générations ? En quoi l’Espagne et le Maroc sont-ils livrés au jugement de leurs anciennes puissances coloniales ? Comment les anciens colonisateurs parviennent-ils à maintenir leur chape de plomb sur leurs anciennes colonies (les présides espagnols de Sebta et Melilla en sont témoins) ? Toutes ces interrogations habitent l’esprit du commun des citoyens.
Tout au long de la « Conférence de Madrid » et d’ailleurs , sur le Sahara marocain, deux pays manquent à l’appel, l’Espagne et la France. C’est à croire que leur absence fait partie intégrante de leur stratégie géopolitique par rapport à la région et au reste du monde. Bizarre pour deux puissances coloniales, friandes de contrées colonisables les plus improbables, aux quatre coins du monde. Sur près d’un demi-siècle de parlotte sans fin, on a ainsi vécu la construction de deux empires coloniaux dans leur continuité historique et leur prévalence géographique. Tout se passe comme si une colonie peut en cacher une autre.
Au commencement était la première conférence de Madrid un 1er juillet 1880. La présence des pays qui y ont participé, les États-Unis, la Grande Bretagne, les Pays Bas, les pays nordiques aux côtés de la France et de l’ Espagne, démontre l’intérêt de ces puissances pour le Sahara marocain ; ainsi que les convoitises des puissances européennes sur le Maroc, tout au long du XIXème et XXème siècle. L’internationalisation de la récupération par le Maroc de son Sahara est ainsi mise en évidence. Il est désormais clair qu’il est d’abord question d’une intégrité territoriale sous haute menace d’éparpillement et de dépeçage. La France et l’Espagne y participent en connaissance de cause. Les élucubrations les plus fantastiques battent leur plein. On a ainsi laissé croire au commun de nos compatriotes sahraouis qu’il suffit de se baisser pour faire le plein de l’or noir. Un mensonge collectif ; une supercherie d’Etat que nos voisins d’Alger entretiennent volontiers.
Un rappel historique pour tous les amnésiques des péripéties d’une affaire qui perdure. Une conférence tient lieu d’accords entre le Maroc, l’Espagne et la Mauritanie, datée du 14 novembre 1975. Un marché de dupes que le Maroc réussira à démanteler par une immense « Marche verte » de 350.000 participants ; l’objectif étant de lever l’occupation espagnole du Sahara marocain.
Il s’ensuit un véritable rituel de négociations directes ou indirectes sur l’état actuel et le devenir du Sahara marocain. L’Espagne et la France sont constamment de la partie. Les mouvements de libération du carcan colonial battent leur plein. Un facteur un peu plus déterminant que d’autres va accompagner cette période trouble dans ses frontières avec les voisins. Il s’agit précisément de la délimitation des frontières où l’on s’essaye à une vie politique avec les siens et les autres. De par sa nature et sa culture, le Maroc s’est trouvé au centre d’une transition coloniale franco-espagnole. Comme chacun sait, le tracé des frontières est plus enclin de répondre aux exigences des occupants plutôt que des occupés. Cette règle fonctionne à la perfection avec le tracé des frontières entre le Maroc et l’Algérie. Aucune surprise donc que l’Algérie française soit mieux servie que le Maroc dans sa ligne droite vers la décolonisation. D’autant plus que le Maroc venait de connaître l’une de ses plus grandes défaites militaires, à la Bataille d’Isly dans le Nord-ouest du pays. Il en sortira le traité de Lalla Maghnia, le 18 mars 1845. Dès l’article 1 du traité, les législateurs de service tentent d’éviter toute polémique sur les frontières. Il est dit que les plénipotentiaires du moment n’y toucheront pas. Il n’empêche. Le traité de Lalla Maghnia servira bel et bien de référence pour d’autres découpages. Pour preuve, les régions de Tindouf et de Colomb-Bechar, alors sous souveraineté marocaine, sont intégrées à l’Algerie française ; bien évidemment après la découverte du pétrole et d’autres minerais, notamment le fer et le manganèse.
Devenu indépendant en 1956, le Maroc se dépêche de réclamer ses territoires. La France accepte sous condition d’exploitation en commun des gisements miniers ; ainsi que l’interdiction d’abriter des insurgés algériens ou de discuter de leur restitution.
Dans tous les conflits nationaux ou internationaux, les plus impliqués sont les premiers à être appelés à la barre. Il se trouve que la France et l’Espagne sont les deux puissances coloniales par lesquelles ce conflit est arrivé. C’est à ce titre qu’ils ont été interpellés pour y trouver une solution de sortie acceptable par les anciennes colonies au premier rang desquels se trouve le Maroc. En clair, un territoire où la parole du colonisateur primait sur celle du colonisé. En plus clair encore, la France et l’Espagne avaient des intérêts économiques qui commandaient toute velléité politique anti-coloniale. C’est à ce niveau, et nulle part ailleurs que les prises de position de l’Espagne, de la France et des États Unis d’Amérique pourraient être appréciées à leur juste valeur. Ce sont là des référants incontournables qui empêchent le déblocage diplomatique du dossier du Sahara marocain.
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION