Le 15 décembre 1998, le journal libanais « L’Orient-Le Jour » écrivait sous le titre « Les larmes présidentielles » : «Je veux que mon père soit de retour pour la fête, marquant la fin du jeûne musulman du Ramadan, à la mi-janvier, a-t- elle dit. Des larmes sont alors apparues aux yeux de MM. Clinton».
En fait, dans le bureau du président palestinien Yasser Arafat, à Gaza, le président américain recevait quatre filles dont les papas étaient prisonniers en Israël. L’occasion était d’une importance capitale car Bill Clinton était venu spécialement à Gaza dans une mission très délicate. Le même jour, le journal suisse «Le Temps» l’expliquait ainsi : «Bill Clinton a effectué à Gaza la première visite d’un président américain en territoire palestinien pour tenter, une fois de plus, de sauver du désastre le processus de paix. Le président démocrate s’est exprimé devant les membres du Conseil National Palestinien qui venaient juste de révoquer leur charte sur la destruction de l’État hébreu».
La presse internationale rapportait les échos du discours de Clinton devant le Conseil National Palestinien (CNP) et sa célèbre phrase : «Je suis l’ami de votre avenir». Mais il a aussi dit que les Palestiniens avaient le droit de déterminer leur propre destinée sur leur propre terre. Par ailleurs, il n’a pas manqué de féliciter les membre du CNP d’avoir abrogé les clauses anti-israéliennes de la charte de l’OLP.
Mais, à peine sa visite palestinienne terminée, le président humaniste a ordonné des lancements de missiles Tomahawk meurtriers sur Baghdad. Or pour le Palestinien Lambda, faire la paix avec les Palestiniens voulait dire faire la paix avec le peuple arabe dans son ensemble. Des manifestations éclatent en Cisjordanie en solidarité avec les Irakiens. L’armée israélienne tire dans la foule et le premier mort, victime d’une balle qui lui a transpercé le cœur, était un Palestinien de 19 ans.
On commençait à réaliser les conséquences et les limites des procédés arabes en démocratie, d’une part, et les filouteries des pouvoirs occidentaux de l’autre. Devant Bill Clinton, le président Arafat avait demandé aux membres du CNP de voter à main levée l’abrogation des clauses anti-israéliennes de la charte de l’OLP mais, en récompense, le président américain a versé quelques larmes devant des fillettes dont les papas étaient encore détenus et encensé les Palestiniens de quelques métaphores qui ne l’engageaient en rien, et surtout qui n’engageaient aucunement l’État hébreu.
L’embrasement de la situation en Cisjordanie faisait dire à une responsable politique palestinienne que «Bill Clinton a réussi ce tour de force d’être encensé en début de semaine par les Palestiniens puis en fin de semaine de susciter leur opprobre. Quel gâchis !». Fallait-il le dire ainsi, ou fallait-il demander à ce qu’on associe les paroles aux actes ? Faut-il désormais conclure que les administrations démocrates américaines sont devenues, depuis bien longtemps, expertes en matière de larmes politiques ?
L’exemple le plus éclatant et le plus récent nous est donné par le secrétaire d’État américain Antony Blinken, le 17 janvier 2024, lors du Forum économique mondial de Davos en Suisse, où il déclarait : «Ce que nous voyons chaque jour à Gaza est déchirant, et la souffrance que nous voyons parmi des hommes, des femmes et des enfants innocents me brise le cœur». Cette belle parole est démentie sur le terrain par l’aide militaire que déclarait, quelques jours plus tard, l’administration Biden pour les Israéliens. Ces armes n’allaient pas être utilisées contre des martiens mais bel et bien contre ces hommes, ces femmes et ces enfants innocents qui brisent le cœur fragile et romantique du ministre américain.
C’est ce qu’on appelle l’imposture. Il faut préciser que l’imposteur arrive à duper les autres, en usant et en endossant de façon inégalée la persona, terme qui, on le sait, désigne le masque de théâtre.
Le masque de l’imposture finira-t-il par tomber un jour ?
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane