Le professeur Ahmed Skounti est l’expert marocain en matière de patrimoine. Il est aussi anthropologue, fin connaîsseur du Haouz et de surcroît habitant de Marrakech. Plus d’un mois après le séisme qui a dévasté le Haut-Atlas, Zamane lui propose de revenir, avec le recul qui le caractérise, sur l’impact de cette catastrophe majeure. Pour lui, il est impératif de collecter le maximum d’informations, seul moyen de lutter contre l’oubli et de s’armer en prévention d’un risque souvent mal évalué. Il revient également sur les stratégies du Maroc pour la préservation de son patrimoine, pour laquelle il est régulièrement sollicité. Enfin, Ahmed Skounti, également archéologue, explique l’importance du patrimoine rupestre, parent pauvre en la matière…
Comment avez-vous vécu le tremblement de terre du 8 septembre et, en tant qu’expert consultant de l’UNESCO, quel regard portez-vous son impact sur le patrimoine culturel de la région touchée ?
Je suis d’abord un citoyen et, à ce titre, j’ai été profondément affecté par cet évènement tragique, d’autant plus que j’habite à Marrakech, ville où le séisme a été très fortement ressenti. En tant que chercheur à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP) et expert consultant auprès de l’UNESCO sur les questions liées au patrimoine culturel, il est évident qu’après les victimes humaines déplorées, j’ai tout de suite pensé à l’impact du séisme sur le patrimoine matériel et immatériel de la région sinistrée. Les informations qui nous sont parvenues et les images qui ont circulé ont montré l’étendue des dégâts. Elles ont ensuite été renforcées lors de la phase d’évaluation des dommages sur le terrain. Ce qui a tout de suite retenu mon attention, c’est que les informations qui ont circulé et le diagnostic entrepris se sont focalisés sur le patrimoine matériel, ce qui est nécessaire en soi, bien entendu. On songe tout de suite à la mosquée de Tinmel, mais aussi à tous les villages, parfois multiséculaires avec leurs mosquées, leurs greniers, leurs architectures et leurs paysages. On pense aussi aux sites archéologiques tels que Oukaïmeden, Yagour, les sucreries de Chichaoua, Aghmat ou la forteresse de Tasghimout. On pense également aux monuments historiques, y compris ceux de la médina de Marrakech et de la médina de Taroudant.
L’UNESCO s’est tout de suite mobilisée au chevet du Maroc dès le lendemain de la catastrophe. Avez-vous les détails des projets de l’UNESCO pour aider dans le cadre du processus de reconstruction ?
Oui, nous avons vu la réaction immédiate de la directrice générale de l’UNESCO qui, dès le 9 septembre, a adressé ses condoléances et exprimé son soutien au Maroc. Le Bureau de l’UNESCO au Maghreb dont le siège est à Rabat s’est ensuite mobilisé pour dresser un bilan des dégâts causés aux sites et monuments historiques. Bien entendu, l’UNESCO est directement concerné parce que les régions touchées par le séisme comprennent trois sites du patrimoine mondial : la médina de Marrakech, le Ksar Aït Ben Haddou et la médina d’Essaouira, en plus de la mosquée de Tinmel qui figure sur la liste indicative du Maroc. Dans ces régions aussi, des éléments du patrimoine culturel immatériel inscrits sur les listes de l’UNESCO comprennent la danse martiale Taskiwine, l’espace culturel de la Place Jamaâ El-Fna, l’argan, les gnaouas, entre autres. Il est donc tout à fait normal que l’organisation onusienne s’inquiète de l’impact potentiel du séisme sur les sites et les éléments reconnus au niveau international mais aussi de tous les autres. Concernant la reconstruction, il faut attendre qu’une demande éventuelle soit exprimée par le Maroc pour que la forme et les modalités du soutien que l’organisation puisse apporter se concrétise.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°156