Sur les quarante ans bientôt révolus, ce qui a jusqu’ici caractérisé la question du Sahara c’est la stagnation, avec des flux et des reflux de part et d’autre des frontières improbables entre le Maroc et l’Algérie. Plus le dossier s’embourbait sur ces espaces sablonneux et caillouteux, objet d’un litige préfabriqué, plus il moisissait dans les travées de l’ONU, sans issue perceptible. On ne savait plus où en étaient les interminables rounds de négociation pour rien, dans la banlieue new-yorkaise de Manhasset. Pas plus qu’on ne savait où nous étions par rapport aux tournées, dans le vide, du représentant personnel du SG de l’ONU pour le Sahara.
Sauf que ce surplace endurci ne concerne que la diplomatie de surface. D’autres circuits diplomatiques, relevant du sérail, du Parlement, des partis politiques, ou des voies insondables d’administration parallèles sont en marche. Ils s’activent de plus en plus ces derniers temps. On a ainsi vu le président de la Chambre des Conseillers, M. Cheikh Biadillah, effectuer récemment deux déplacements successifs, au Niger et au Kenya, où il a été reçu par les présidents de ces deux pays. Évidemment que les sujets habituels ont été abordés. Mais il n’a échappé à personne que la motivation principale de ce voyage ne pouvait être que le Sahara, ses réalités sur le terrain, ses derniers développements et ses perspectives.
Dans le même registre, la diplomatie parlementaire a travaillé, avec une certaine réussite, pour que le dernier rapport annuel du Parlement européen, rendu public le 12 mars 2015, ne parle plus du Sahara comme « une région contestée », ni d’autodétermination, ou encore d’élargissement du mandat de la Minurso aux questions des droits de l’homme. Comme d’habitude, les diplomates algériens se sont démenés, sans relâche, pour faire adopter des amendements dans le sens des thèses élaborées par Alger et agitées par le Polisario. Le rejet est sans appel : seule une centaine de députés européens a appuyé les rectifs algériennes, alors que 390 ont voté contre. Du côté de la diplomatie partisane, certaines formations ont été plus entreprenantes que d’autres pour établir une communication soutenue et prometteuse avec l’ANC, parti au pouvoir en Afrique du Sud. Le dernier événement en date qui incite à l’optimisme à propos d’une évolution positive de la question du Sahara sur la scène internationale, est la tenue du Crans Montana à la ville de Dakhla, le 13 mars 2015. Une structure basée en Suisse qui organise des rencontres internationales et prône une vision sereine et productive des rapports Nord-Sud et Sud-Sud. Placée cette fois-ci sous le thème de la coopération stratégique avec l’Afrique, ce forum mondial a pu juger de la solidarité agissante du Maroc avec le continent africain. Il avait pour témoins de marque, venus d’une centaine de pays, des chefs d’État et de gouvernements, des ministres, des personnalités politiques de grande envergure et des experts internationaux. En faisant le déplacement à Dakhla, l’ensemble de ce panel de premier choix a pris acte d’une réalité géographique doublée d’une vérité historique. Le Sahara occidental est bel et bien partie intégrante du Maroc. Dakhla, qui n’était qu’un baraquement du temps de l’occupation espagnole, est devenue, depuis sa récupération en 1975, une ville prospère, avec son port ouvert sur l’Atlantique et l’Afrique, et ses atouts touristiques. En accueillant ce forum, Dakhla s’est inscrite de fait sur la carte des relations internationales.
C’est précisément ce dont l’Algérie ne voulait pas, à tout prix. Notre voisin a mis en marche et à plein régime sa machine diplomatique pour que cette rencontre internationale n’ait pas lieu. Sa tenue dans ce grand Sud marocain a été considérée à Alger comme une offense et une humiliation. D’autant plus que ce conclave a été organisé en collaboration avec l’ISESCO, organisme de l’OCI (Organisation de la conférence Islamique) et surtout avec l’UNESCO, une institution relevant de l’ONU. Une double circonstance aggravante pour Alger qui démontre ainsi que le problème du Sahara est algéro-marocain. Cette offensive diplomatique du Maroc arrive comme une stratégie d’accompagnement des initiatives royales en direction de l’Afrique. Rien qu’en 2014, le roi Mohammed VI a fait une autre tournée qui l’a conduit au Mali, en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Gabon. En fait, le Maroc n’a jamais été aussi présent en Afrique, depuis qu’il a claqué la porte de l’OUA en novembre 1984, suite à l’infiltration de la fantomatique RASD dans cette organisation. Bien qu’on ait beaucoup ergoté sur ce retrait du Maroc, difficile d’imaginer une autre réponse face à cette tentative de hold-up territorial orchestrée, à coup de pétrodollars, par l’Algérie. Valeur aujourd’hui, tout pousse à penser que nous avons effectivement marqué des points sur la question du Sahara, telle que nos adversaires ont voulu l’internationaliser. Les erreurs de gestion de ce dossier et leur répercussion sur notre cuisine politique intérieure semblent dépassées. La récente décision de légaliser une douzaine d’organisations sahariennes non-gouvernementales, manifestement indépendantistes, apparaît comme une démarcation par rapport à l’approche exclusivement sécuritaire. Derrière cette disposition sans précédent se profile la condition américaine de respect de ce genre de liberté, élevé au rang de droit, en échange du soutien au plan marocain d’autonomie élargie pour le Sahara. Nous serions même à la veille d’un retour à une UA (Union africaine) qui aurait révisé ses cartes sur la question du Sahara.
Comme quoi, le front de notre intégrité territoriale reste ouvert…
YOUSSEF CHMIROU
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION