Alain Touraine, un des grands sociologues de notre temps, a accordé un précieux entretien à Zamane. Il y évoque sa vision de la modernité, de la démocratie et de la violence qui secoue notre monde. Des réflexions qui sortent de l’ordinaire bien pensant…
«Je suis un homme de convictions», nous rappelle Alain Touraine dans cet entretien. Une parole qui tranche avec l’habituelle neutralité des sociologues. Une démarche engagée qui finit par payer. Le sociologue français figure parmi les plus influents de notre époque. Ses écrits sont aujourd’hui traduits et publiés dans plus d’une centaine de pays. Né en 1925, Alain Touraine intègre dans sa jeunesse l’École Normale Supérieur de Paris. Un monde sûrement bien trop aseptisé pour lui. Dans la lignée d’une sociologie de terrain, le jeune homme se glisse dans la peau d’un mineur du nord de la France pendant l’année 1947. Il entame ainsi un vaste cycle sur la sociologie du travail en s’attardant longuement sur le mouvement ouvrier. En 1964, il publie un de ses ouvrages de référence, La conscience ouvrière. Durant le mois de mai 1968, rares sont les intellectuels qui croient à la révolution des esprits. Alain Touraine dénote et se met à dos un milieu universitaire frileux et rigide. Sa sphère de réflexion s’élargit peu à peu. Jamais politisé, Alain Touraine prend part aux questions de société qui font l’actualité. En 1989, la France est déchirée par la question du port du voile à l’école. Le sociologue s’insurge contre les dénonciateurs. «Le plus important, dit-il à l’époque, est d’éviter les ruptures dont les plus faibles paient le prix le plus élevé». L’universalisme dont manque cruellement le monde moderne devient le graal qu’il souhaite à l’humanité. Se réclamant d’un esprit égalitaire et de dignité pour tous, Alain Touraine s’inscrit dans ce sens dans la lignée des illustres lumières. Il regrette aujourd’hui le prisme déformant qui corrompt la modernité telle qu’il l’a définie. Son dernier ouvrage, La fin des sociétés, est une mise en garde contre la fragmentation du monde et des sociétés qui le composent ».
Pensez-vous que l’heure est à la critique de la modernité ?
Pour ma part, ce n’est pas la démarche pour laquelle j’opterais. La modernité se définit en réalité de la manière la plus simple qu’il soit. Il s’agit de l’introduction de l’universel dans la pensée et dans l’action. Averroès et Aristote sont par exemple des modernes. Le grand mouvement de la modernité tel qu’on l’entend aujourd’hui a été déclenché, en toute logique, par les scientifiques du XVIIe siècle. En Occident, le personnage de Galilée est devenu symbolique dans son opposition à l’entité la plus anti-moderne qu’il soit, à savoir l’Église. Pour simplifier, j’appelle une société moderne celle capable, pour affronter les réalités du monde, de suivre les préceptes de la pensée rationnelle. Celle-ci ne se limite pas au volet scientifique, mais concerne également la pensée philosophique, des sciences sociales et historiques. Dans l’ordre du traitement adopté par la modernité, nous retrouvons d’abord la pensée rationnelle, puis la reconnaissance des droits humains universels.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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Un grand monsieur, merci pour cette article intéressant.