« Ma liberté s’arrête là où commence la liberté de l’autre ». Un refrain que nous avons entendu ces derniers temps à l’occasion de la querelle autour des images du prophète. Il est certes intéressant de voir des musulmans, surtout des pays arabes, où rares sont ceux qui non seulement ne connaissent pas la liberté, mais sont toujours les premiers à s’empresser pour la spolier quand ils votent des lois qui la briment, quand ils parlent de la femme, de la peine de mort, de la liberté de conscience, de la liberté de la presse…
L’utilisation tendancieuse de ce précepte par ceux-là même qui tuent des êtres humains à cause du sexe, de la non-observance d’un rite, de la non-conformité à un comportement physique ou vestimentaire ou même culinaire… interpelle à plus d’un titre. Quelle notion doivent-ils avoir de la liberté ?
Les musulmans, dans leur grande majorité, n’ont découvert le concept et l’usage du concept de liberté, qu’avec la lutte contre l’occupation coloniale. Certes ils parlaient selon leur droit, surtout religieux ou coutumier, de libérer un cou (Raqaba), en parlant d’un esclave, d’un prisonnier ou de tout autre captif. Mais la liberté restait, dans l’imaginaire et les mentalités, très liée surtout à l’esclavage. L’élargir pour qu’elle englobe les humains de tout bord, ainsi que leurs actes et selon leur volonté individuelle, ceci est une invention de la modernité européenne et des siècles des lumières que les Arabes et les musulmans ne connurent que dans les livres. Mais quand les mots perdent leur sens, il n’y a pas mieux que de revenir aux racines de la langue. Le dictionnaire.
La liberté, au sens physique du terme, c’est se mouvoir comme on le veut et le désire dans l’espace, c’est donc bien quelque part faire ce que l’on veut. La liberté s’arrête donc quand le corps bute contre un autre corps. Priver de liberté c’est utiliser la contrainte physique pour le priver de mouvement ou arrêter son élan. On dresse des murs, des murailles pour arrêter le flux des eaux, des vents ou des populations. On arrête l’élan d’un cheval ou on le dirige comme on le désire en le bridant. Un corps peut se déployer librement comme il le veut et comme le lui permet sa condition physique tant qu’il n’y a pas un autre corps physiquement puissant qui viendrait barrer son chemin, arrêter son mouvement. On parlera alors d’arrêter le mouvement ; la liberté.
Dans l’ordre des humains où ce concept a été transposé pour signifier la liberté du mouvement des corps, des esprits, des envies, des sentiments, des croyances…, il a été établi, le respect, l’éthique et le vivre ensemble. Mais ces mots restent vides de sens tant que nous sommes nombreux à croire, à sentir, à réfléchir, à aimer…autrement que plusieurs d’autres qui partagent le même ciel avec nous. Pour éviter les guerres, il a fallu se mettre d’accord sur ce que nous pouvons partager et ce qui relève de notre stricte intimité. Sous le ciel nous partageons le sol qui nous supporte, nous héberge et nous retient en son sein. Mais afin que personne n’empiète sur l’espace intime de l’autre, les lois ont été établis afin de régler et gérer les différends.
Seul, l’état à travers les lois a donc le droit de priver le corps de son mouvement libre en usant de moyens autorisés. La liberté de l’autre commence à la ligne tracée par la loi. Priver de liberté revient donc à la loi et non pas à quiconque viendrait astreindre les corps et les esprits à une loi qui n’est pas celle de l’état. Mais il est bien clair que la privation de liberté s’accompagne de force et de contrainte et non pas de pensée ou de croyance. J’empiète sur ton espace de liberté quand je te contrains à l’abandonner et non pas quand j’exprime ma pensée à l’égard de ce que tu penses ou ce que tu crois.
Il y a donc mauvaise compréhension (ou mauvaise foi) à propos de la liberté. Doit-on museler la liberté d’expression, de conscience et de culte pour que certains ne se sentent privés de liberté comme ils ont tendance à le crier ?
Ou alors cherche-t-on à redéfinir la liberté, à la cadrer et à l’assujettir à une seule pensée ?
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane