Le 23 mai
Le Mouvement du 20 février, coordination de Casablanca, a organisé aujourd’hui un point de presse pour rendre compte du traitement que leur ont réservé les forces de l’ordre hier soir. Selon ces jeunes gens, leur programme de manifestations avait été adopté en assemblée générale. Il prévoyait, pour le dimanche 22, une marche pacifiste dans les rues du quartier populaire Sbata. Les forces de sécurité ont occupé les lieux de façon massive et brutale avant le début de la marche. Chaque groupe de manifestants a été systématiquement attaqué et dispersé. Les membres de la commission de communication ont été traqués, appréhendés, tabassés et dépouillés de leurs appareils électroniques. Tout ce qui bougeait dans les rues était la cible d’un matraquage et d’insultes de tous genres. Il y a eu bien entendu des blessés. Les témoignages des femmes et des hommes présents au point de presse confirment la brutalité des forces de sécurité ainsi que la volonté affichée d’interdire tout attroupement et de sévir quel que soit le prix humain ou politique. D’ailleurs l’agence officielle MAP vient d’informer que toute manifestation non autorisée est strictement interdite !
Le cas de Casablanca n’est pas isolé. Dans plusieurs dizaines de villes et de villages, la journée du 22 mai a été un exemple de brutalité policière sciemment préparée et exécutée. Quel message les autorités veulent-elles livrer ? Que la « parenthèse » est close ? Que désormais l’Etat n’écoutera plus le peuple ? Mais l’a-t-il vraiment écouté un jour ? Je ne suis pas de ceux qui glissent, chaque fois que les forces rétrogrades de ce pays s’activent pour faire avorter un moment d’espoir, vers le nihilisme et le populisme le plus vulgaire. Je suis de ceux qui espèrent que le discours du 9 mars ne sera pas seulement une belle vitrine qui n’ouvre ses portes qu’à une poignée de privilégiés, mais un véritable pont vers la modernité, tellement solide que le peuple tout entier puisse l’emprunter sans danger de dérapage. En démocratie, le tout-sécuritaire est une hérésie. En période de transition, interdire l’expression libre et pacifiste dans l’espace public est une faute politique grave qui risque de plomber toutes les bonnes volontés du monde. C’est vrai que la perspective d’une société marocaine digne et libre fait peur aux détenteurs des privilèges. Mais ils ne sont qu’une minorité. Alors, comme disent les jeunes de ce pays : « Smaâ sawt ech-chaâb ! ».
Le 15 mai
C’est le soixante-troisième anniversaire de la Nakba palestienne. C’est aussi mon soixantième anniversaire ! Je l’ai rarement fêté parce que ce n’est pas une tradition familiale. Jeune militant, j’étais toujours attiré par un meeting de solidarité avec le peuple palestinien, oubliant que j’avais vieilli d’une année. Aujourd’hui l’anniversaire de la Nakba s’insère dans un printemps des peuples arabes. Il est porteur de promesses. La Palestine, surtout après les accords d’entente entre factions, est grosse d’un Etat national. Que les peuples arabes veillent à ce que le processus arrive à terme et enfante d’un beau bébé!
Le 14 mai
L’assemblée plénière du Forum citoyen pour le changement démocratique (FCCD), elle, a enfanté d’un petit bébé. Il s’agit du compte-rendu de ses quatre commissions de travail, le résultat d’un travail de réflexion et de synthèse entre hommes et femmes d’horizons divers. Un travail de citoyens libres en quête d’une société moderne et démocratique. Il est sur la toile, soumis à l’appréciation de tous. Je ne soulèverai ici qu’une question, celle de la légitimité du système politique. Elle a été longuement débattue par les membres du FCCD. Pour faire court, je dirais que dans les pays conservateurs, la légitimité du système politique est extérieure à ce système. Elle est divine, historique, ou filiale. Son détenteur n’est soumis à aucune évaluation ni interpellation. Il n’est comptable de ses actes devant personne. C’est de par sa propre générosité qu’il peut déléguer une partie de ses pouvoirs et associer qui il veut à l’exercice de ses prérogatives. Il peut être roi ou chef d’Etat, doté d’une constitution, ou régi par des us et coutumes, mais il a les pleins pouvoirs et sa parole fait loi. Dans les pays modernistes et démocratique, il y a une séparation nette entre le détenteur du pouvoir et celui qui l’exerce. La stabilité de l’Etat, et l’évolution du système communautaire en société de citoyens, exigent l’émergence d’un être collectif abstrait, auquel tout un chacun peut s’identifier. C’est la Nation, dans son acception universelle. De la Nation découle le peuple. C’est lui qui détient la souveraineté, et de lui découlent les pouvoirs. Les citoyens qui exercent des pouvoirs ne les possèdent pas. Ils leur sont délégués par le peuple par la voie d’élections libres et pour une durée déterminée. Voilà une différence de taille. Alors, que dire de la constitution marocaine ? L’actuelle stipule que la «Oumma» est la source de la souveraineté et des pouvoirs. Mais le concept de Oumma est d’essence communautaire. Il s’apparente bien à une légitimité conservatrice comme celle du grand «Imamat», ce qui évacue les attributs de la modernité, comme la séparation des pouvoirs, la suprématie de la loi, et la reddition des comptes. Dans la version en français de la constitution marocaine, le concept de «Oumma» est traduit par «Nation», ce qui crée une énorme confusion! Alors, pour transiter effectivement vers la modernité et la démocratie, inscrivons dans la prochaine constitution que «le peuple est source de la souveraineté et de tout pouvoir»… c’est un peu cela, sawt ech-chaâb !
Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane