La projection d’un film annulée, une conférence reportée et des invités remerciés. Le Maroc s’interdirait-il de parler de ses juifs à l’heure où les hostilités reprennent au Proche-Orient ?
C’est une constante. Toutes les démarches artistiques, scientifiques et historiques ayant trait aux juifs marocains sont systématiquement victimes de censure, au moment où l’Etat d’Israël s’en prend violement au peuple palestinien. Une action militaire par ailleurs insoutenable, qui ne cache aucune ambigüité sur l’opinion de l’écrasante majorité des Marocains. Mais cette opinion concerne la politique d’un Etat (Israël) envers un peuple frère, les Palestiniens. Manifester son indignation est parfaitement légitime tant que la confusion ne règne pas. Défricher l’histoire des juifs du Maroc, présent depuis 3000 ans sur notre terre, ne veut pas dire approuver la politique agressive d’Israël d’aujourd’hui.
L’Université d’Al Akhawayn avait prévu d’organiser début décembre une très judicieuse conférence réunissant des historiens marocains, étrangers et israéliens. Le but de cette démarche scientifique était de regrouper les connaissances dispersées sur l’histoire des juifs marocains. Le tout coïncidant avec la commémoration du premier anniversaire de la disparition de Simon Lévy. Grande fut la surprise à l’annonce du report de cette importante manifestation de recherche historique, événement encore trop rare au Maroc pour se permettre le luxe de les annuler. En parallèle, le film documentaire Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah, réalisé par Kamal Hachkar, a été subitement retiré de la programmation à Agadir. La question se pose sur la coïncidence de ces interdictions et l’actualité brûlante au Proche-Orient. Un raisonnement logique viendrait à établir un lien de cause à effet évident.
Pourtant, contacté par Zamane, le professeur d’Al Akhawayn chargé de l’organisation de la conférence est catégorique. Pour lui, les motivations qui l’animent ne sont pas d’ordre politique: « Nous tenions d’abord à rendre hommage à Simon Lévy, malheureusement certains participants qui étaient prévus ont renoncé à nous rejoindre à la dernière minute. Notre programme s’en est retrouvé tellement modifié qu’il est devenu indispensable de reporter l’événement ». De son côté, Kamal Hachgar nous affirme que la raison de la censure de son film est directement liée à des groupes de pression, qui assimilent son travail à une volonté de normalisation avec l’Etat d’Israël. Selon lui, « la municipalité d’Agadir a reçu des instructions de la part de la wilaya pour suspendre la projection ». Il se dit « indigné de cette confusion des genres. L’histoire des peuples n’est pas celle des gouvernements ». La décision de censure n’est d’ailleurs légitimée par aucun antécédent, car le film de Kamal Hachgar a déjà été projeté dans 15 villes marocaines, que ce soit dans les centres culturels ou les universités. Et de l’aveu du réalisateur, « les rencontres sont cordiales, aucun incident n’est à déplorer. Les spectateurs sont très curieux et réceptifs ».
Jamaâ Baida, directeur des Archives du Maroc, nous livre son sentiment sur cette question : « Il semble que le Maroc ne soit pas prêt à assumer une réelle séparation des champs scientifiques, culturels et politiques ». Quel est le rôle de l’Etat dans ce jeu d’intox, où le populisme est encouragé ? Il serait également aisé de faire mention à une autre et troublante coïncidence, celle liée au fameux souhait du PJD de faire de « l’art propre ». Espérons que cette démarche ne consiste pas à s’acharner à gommer l’histoire des juifs marocains de la mémoire collective.
Par Sami Lakmahri