A l’ère des droits humains, de la diversité, de la liberté, la liberté de conscience devrait être une logique naturelle. Elle figure à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais la pratique en limite la portée. Des exactions et des persécutions sont à déplorer partout dans le monde, en Chine, au Vietnam, au Pakistan, en Irak et ailleurs. Le texte lui-même, qui consacre la liberté de conscience, ne prend pas en compte la possibilité de changer de confession. La liberté de conscience est circonscrite au seul cadre individuel. Or, la religion, toute religion, a un aspect communautaire et s’exerce, ou devrait s’exercer, publiquement. L’article 18 s’avère, en effet, orphelin. Voici sommairement les conclusions d’un colloque sur la liberté de conscience tenu à Berlin du 12 au 14 septembre, auquel j’ai participé et dont les travaux ont été clôturés par la chancelière allemande Angela Merkel.
Ce qu’il faudra souligner, c’est que l’Allemagne, de concert avec ses partenaires au sein de l’Union européenne, tient à faire de la liberté de conscience un de ses axes diplomatiques. La présence d’un ambassadeur américain itinérant chargé de la liberté de conscience n’était ni anodine, ni une coïncidence. Nous sommes, peut-être, témoins d’une nouvelle génération des droits humains et d’une nouvelle politique occidentale (Mme Merkel avait parlé de chrétienté) particulièrement vis-à-vis du monde musulman.
Il n’est pas facile, bien sûr, pour certaines sociétés de souscrire à la liberté de conscience. Quand la religion est un support idéologique ou une expression identitaire, il est difficile de reconnaître une autre conception autre que celle qui prévaut. On ne se défait pas facilement de ses préjugés. Ce fut le cas en Europe, en Espagne d’abord, où l’identité espagnole était inhérente à la religion catholique et son avatar l’Inquisition, avec comme conséquence l’expulsion des Espagnols musulmans et juifs de la péninsule ibérique. La fille aînée de l’église, la France, ne pouvait admettre une conception du christianisme autre que catholique. Lisons à ce propos « le traité de tolérance », de Voltaire, pour être édifié sur les atrocités commises par cette conception du christianisme, voire de la foi. On connaît le chemin parcouru depuis. Pour nous Marocains, la liberté de conscience est l’occasion d’une redéfinition de la religion mais aussi de la marocanité. L’identité marocaine, définie par le roi Mohammed VI dans son discours d’octobre 1999 devant le parlement, s’enrichit de plusieurs apports. Elle n’est plus celle qui était mise en avant au lendemain de l’indépendance par un ponte du nationalisme marocain, qui définissait le Marocain comme étant musulman et arabe.
Il est incontestable que le colloque tenu à Marrakech en janvier 2016 sur la citoyenneté est une percée, ou breakthrough, dans cet édifice de redéfinition de la marocanité. Elle a désormais un corollaire : la citoyenneté, abstraction faite de l’origine ethnique ou confessionnelle. La lettre royale, lue par le ministre des Affaires islamiques, rappelle le précédent andalou dont nous sommes les héritiers. Dans l’Espagne musulmane, musulmans, chrétiens et juifs vivaient, sauf pour quelques intermèdes, en bonne convivialité, ou, pour reprendre le terme espagnol, convivencia. Ceux qu’on appelait les Mozarabes étaient des chrétiens qui portaient bien des noms arabes et musulmans, conversaient en arabe, étaient les sujets du calife, et certains avaient de hautes charges dans la cour de Cordoue. Peut-être qu’il faudra rappeler aussi l’exemple de ceux que la littérature chrétienne appelait Renégats, ou « les chrétiens au service d’Allah », qu’on trouvait à La Sublime Porte, à la Régence d’Alger ou dans le Makhzen marocain. Le discours du roi, du 20 août 2016, par le refus de faire l’amalgame entre islam et terrorisme et sa stigmatisation de ceux qui instrumentalisent la religion et en font un support de la haine, du refus de l’Autre ou l’expression de l’obscurantisme, procède de cette redéfinition de l’islam comme viatique de transcendance et de respect de l’Autre. Encore une fois, le précédent andalou, qui incarne le mariage heureux entre Orient et Occident, est invoqué.
Il est fondamental de rappeler que la liberté, en général, va de concert avec la règle de droit. Dans la liberté de conscience, celle-ci devrait être assortie de deux importants garde-fous, le premier est de ne pas porter atteinte à l’ordre public par le prosélytisme ou la provocation, le deuxième est de ne pas verser dans l’anathème ou le blasphème des autres religions. Le propre de la religion est de donner un sens à sa vie, conforter le sentiment d’appartenance, faire le bien et aimer son prochain. Si un de ces éléments fait défaut, on est plus dans l’idéologisation de la religion, tout comme la foi en l’humain, peut se passer de tout cadre confessionnel. Ce n’est certainement pas pour ériger des cloisons que je plaide, comme d’autres, pour la liberté de conscience, mais pour s’enrichir mutuellement, dans le respect et la clarté. « Ne cherchez point à gêner les cœurs et tous les cœurs seront à vous », disait Voltaire à juste titre, qui avait plaidé dans un opuscule sur la tolérance, et qui demeure d’une pertinence poignante.
Certes, quand les idées reçues sont ancrées, ce n’est pas à coups de textes juridiques qu’on pourra les changer, aussi importants soient-ils, mais surtout à travers l’éducation.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane