Le Hirak algérien, la révolution soudanaise ou les manifestations de Honk Kong nous racontent, de plusieurs manières, un même récit qui fait apparaître un autre rapport au pouvoir et au politique. Ces mouvements semblent avoir tiré les leçons des moments politiques comme « Occupy street » ou, dans un autre genre, les « printemps arabes ».
Concernant le Hirak algérien, plusieurs marqueurs sont à l’œuvre et en font un modèle de résistance qui fonctionne. On note, entre autres, la rupture avec la culture des confrontations violentes, l’absence volontaire de direction politique visible, et surtout la capacité à de fortes mobilisations dans la durée contre les pouvoirs en place.
Comme dans bien des pays arabes, le pouvoir oligarchique ne peut répondre aux besoins élémentaires des gens. L’outrance d’une minorité repue rend visible des sociétés défaites de leurs solidarités traditionnelles. La représentation politique apparait comme une parodie. Les clans et les cliques nés du pillage des ressources du pays, et assurés de leur impunité, ont fini par se croire éternels. Et voilà que, soudain, ils produisent la fureur par la fusion du peuple tout entier. La conscience politique en marche s’effectue en grandeur nature et autorise, par son assurance, le « temps long », transformant chacune des manifestations en une force de joie collective.
Pour le Hirak, le temps long est un atout de puissance. Alors que, à l’inverse, pour le pouvoir, il finirait par vider le Hirak de sa vitalité. L’adoption du pacifisme démontre son efficacité parce qu’elle arrache des mains de la police et de l’armée, l’alibi de l’utilisation de la violence. Et la peur change de camp. L’autre camp est démuni, affichant son désarroi.
Un étrange face-à-face se déroule, publiquement, où les demandes et les réponses tournent au dialogue de sourds, jusqu’au prochain recul du pouvoir. Ce dernier ne sait pas à qui parler, le Hirak refusant de nommer des « représentants » ou des « porte-paroles ».
Le Hirak algérien dresse ainsi, pacifiquement et dans l’unité, la société contre l’Etat. La société clame qu’elle ne veut donner suite à aucune initiative du chef d’état major. Et exige comme préalable que l’armée rentre définitivement dans ses casernes.
Mais comment font-ils donc pour tenir ? Et pour maintenir l’unité des rangs ? Le succès politique du Hirak résulte de deux faits. 1 : aucune avant-garde autoproclamée ne s’est arrogée la direction du mouvement. 2 : le Hirak protège sa propre direction politique.
Comme on a pu le voir, la confrontation s’intensifie entre le Hirak et l’état major militaire, qui suit jusqu’à présent Ahmed Gaïd Salah. Ce dernier a perdu à trois reprises. D’abord, son hypothèse ou pari sur l’essoufflement du mouvement a échoué, le Hirak étant plus vivace que jamais. Il a ensuite échoué à imposer son agenda pour les présidentielles, et à établir un dialogue avec les forces politiques et syndicales du pays. Il semble bien que sa dernière tentative de fixer une date pour l’élection, pour le 12 décembre 2019, est vouée à l’échec. Qui serait le quatrième.
La question se pose alors : combien d’échecs encore avant que Ahmed Gaïd Salah ne soit démis et que l’armée retourne dans ses casernes ?
Quelle que soit l’issue, les enseignements de la période récente sont précieux pour nous, Marocains.
Nous ignorions les Algériens, réduits à tort au prisme du Sahara, et nous découvrons leur capacité de confrontation sur la longue durée, et surtout, leur sagacité à déjouer toutes les manoeuvres de récupération.
Nous avions coutume de considérer les Algériens confits dans un mutisme politique, et nous les découvrons qui soulèvent les questions fondamentales (une Constituante et non une Présidentielle), affirmant leur citoyenneté construite sur une pluralité identitaire, fiers de leur participation aux débats constitutionnels sur l’ensemble du territoire.
Nous avions sous-estimé la réactivité des Algériens, assommés par les désastres de la décennie noire, et nous découvrons leur énergie, leur élan, pour la définition de nouvelles formes de l’exercice de la souveraineté, et des mécanismes de mise en place d’une transition démocratique.
Nous pensions le Maghreb comme une vision utopique et nous découvrons sa proximité.
Voilà sept mois que le Hirak algérien nous console, en partie, des décennies de défaites des mouvements nationalistes, révolutionnaires, ou islamistes, du monde arabe.
Pendant ce temps, à Hong Kong, les manifestants ont gagné, et ils demandent aujourd’hui plus, beaucoup plus. Au Soudan aussi, l’opposition a gagné. Ce modèle de résistance populaire qui gagne peut-il se concrétiser, demain, en Algérie et dans le reste du monde arabe?
Par Raymond Benhaim
Obsevateur politique