Je ne sais s’il faut parler d’écriture ou de réécriture de l’histoire du Maroc, car la réécriture suppose qu’il y ait écriture au préalable. On peut passer tout de go à «la réécriture» sans avoir connu l’écriture. Il y a, au risque de surprendre, manque quantitatif en matière d’écrits sur l’histoire du Maroc (je ne parle pas de production qualitative encore). À ceux qui me sollicitent pour un ouvrage sérieux à lire sur le Maroc, je cite un seul, en français, digne de rapprocher le Marocain de son histoire, sans fioritures ni prisme idéologique : «L’histoire du Maroc» de Michel Abitbol. En arabe, je n’en connais pas.
Or, comme nous invite un saltimbanque, du nom de Z. Boualem, du livre de R. Allali, (Histoire du Maroc, éditions Sirocco 2022) en quête de sérénité, dans un voyage éreintant qu’il a effectué à travers les âges de l’histoire du Maroc, sa raison a été mise à rude épreuve, et au final, il s’est trouvé frappé de schizophrénie. Il ne veut pas que son salut, mais aussi celui de ses concitoyens, pour une sérénité collective, afin de s’accepter tels que nous sommes.
«Fabriquer un récit intelligible, mettre de l’ordre dans les idées, rendre justice à chacun, le faire l’esprit léger». Voilà son souhait. Sans doxa. Rien à craindre, nous sommes adultes, et nous pourrons comprendre qu’on n’est pas le produit d’une génération spontanée. Oui, le Marocain, lettré bien sûr, montre les signes de maturité.
Mais cette maturité pâtit d’un déficit de l’offre. Il y a, et cela se constate chez ceux qui travaillent sur la mémoire, «une matière riche et un récit indigent», comme le lance Boualem, quidam qui parle au nom de tous les quidams. «Et rien n’est plus affligeant qu’un peuple frappé d’amnésie collective. Il se raconte des sornettes et finit par y croire. Il se prend pour un autre, et erre à l’intérieur de lui-même, en souffrance». Le verdit est cinglant de ce quidam qui cherche un menu travail, dans une de ces glorieuses dynasties. Il n’a pas le profil pour les grandes charges, venant de la tribu des Aït People qui, selon ses insinuations, fait l’histoire. La petite histoire ne l’intéresse pas. Et de lancer, cabotin : ce que nous faisons de notre histoire est un effroyable gâchis, un massacre émotionnel.
Les matériaux sont là, mais tout est à construire. Par les historiens de métier, d’abord. Puis, par la littérature, le cinéma, les musées, et autres vecteurs de la mémoire. Regardez le Palais Badi à Marrakech, tel qu’on s’en glorifie, et l’usage qu’on en fait, la Mderas de Meknès à Jnane Bahraouia (en avez-vous jamais entendu parler, avec son style d’Alhambra en miniature) ou la Zidania du côté de Tadla. Et, dame, pourquoi Oualidia s’appelle Oualidia ? Et les Regragas Regragas ? N’y a-t-il pas un lien avec Grégoriens ? Et pourquoi, les Regragas dans leur moussem qui se tient en avril, préparent-ils des mets avec des œufs ? Quels étaient les costumes des Marocains à travers les âges ? Combien de ceux se piquent de savoir, ont-ils lu le récit d’Ibn Marzouk, l’historiographe d’Abou Lhacen Merini ? Pourquoi n’enseigne-t-on pas la geste «Maalaba» de Kefif Zarhoui, le plus ancien texte dont nous disposons en dialectal.
Et que connaît-on de Tin Hinan ? Et pourquoi Abou al Hassan al Ouazzan (Léon l’Africain) ne figure pas dans nos programmes scolaires ? Et l’Espagne musulmane, qu’on ne veut voir qu’arabe et musulmane ? Je ne parle pour l’instant ni d’Apulée, ni de Saint Augustin. Un historien sérieux peut-il faire l’économie de connaître, un tant soit peu, la langue amazighe ?
Or, le voyage qu’a affecté notre quidam, à traves les âges, n’est pas mû par une retrotopia, excusez ce mot savant, forgé par le mot retro, et topos, lieu, pour désigner la nostalgie du passé, souvent mythique. Ce n’est pas pour se blottir dans le passé qu’on étudie l’histoire, mais pour se construire un avenir.
Voilà à quoi devraient concourir nos officines officielles, au lieu de passer un télé feuilleton, sur «la conquête d’al-Andalus», fait de contre-vérités et de fantasme, et payé rubis sur ongle. Il y a plus qu’un gâchis, une myopie. Et surtout un non sens.
Par Hassan Aourid
Conseiller scientifique de Zamane