Même dans les temps anciens, le pouvoir politique avait besoin de s’appuyer sur un certain « marketing » pour communiquer avec le peuple et soigner son image publique. Le pouvoir a toujours eu besoin du paraitre. Et pour convaincre, il faut donner à voir.
On se souvient ainsi des grands sultans par l’étendue de leur empire, leurs conquêtes militaires, le règne de l’ordre et de la sécurité (conditions sine qua non pour la prospérité des élites commerçantes)… Mais on se souvient plus d’eux pour le pouvoir personnel qu’ils ont directement incarné aux yeux des populations qu’ils ont gouvernées.
Les pouvoir militaire, politique, religieux et économique, qui étaient concentrés entre les mains d’un seul homme, avaient besoin d’un label pour les représenter. C’était le palais, son architecture, ses fastes, son organisation, et surtout l’extraordinaire (de précision et de sophistication) cérémonial qui fixait ses règles de fonctionnement.
Même s’il renfermait mille-et-un secrets et mystères, et même s’il restait un monde opaque et interdit aux étrangers, cet espace n’était pas seulement un lieu de résidence. Nous ne sommes pas dans la sphère privée des personnes qui ont régné, gouverné, dominé.
Les sultans se servaient de cet espace pour étaler leur puissance personnelle mais aussi la puissante de leur dynastie, de leur empire et de leur Etat. Nous sommes dans l’image et la représentation. La « communication » d’un sultan s’articulait autour de cet espace. C’est lui qui traduisait au mieux le pouvoir et la « magie » qui auréolait son statut personnel. Et c’est pour cela qu’au Maroc, rétrospectivement, on dit que les plus grands sultans ont eu les plus grands palais. Ahmad al-Mansour, l’un des pères de l’Etat marocain, avait parfaitement compris et incarné cela. Sa gloire, ses victoires, ses conquêtes militaires, son prestige personnel, tout cela est incarné par le palais qu’il a fait construire, et pour lequel il s’est inspiré du meilleur modèle de son époque : le turc.
Ceux qui ont succédé à al-Mansour ont suivi son exemple, rivalisant d’ingéniosité pour édifier les plus beaux palais et faire respecter les codes protocolaires les plus stricts, les plus élaborés. Car c’est ainsi que le peuple peut voir et mesurer l’étendue du pouvoir du sultan. C’est l’image la plus parlante, la plus facile à propager de proche en proche, la plus incontestable.
Les harkas, les mehallas et, plus généralement, les sorties publiques du sultan, qu’elles soient d’ordre militaire ou récréatif, devenaient ainsi une occasion unique d’exposition itinérante de l’image du sultan. Avec l’idée, toujours, de donner à voir.
Ce n’est pas seulement le sultan qui se donnait à voir mais ses dépendances aussi, ses richesses, ses serviteurs, ses gardes, sa cour, etc. Ces déplacements, qui sont l’équivalent d’une campagne de communication directe pour leur époque, traduisaient la réalité du pouvoir sur le terrain, aux yeux de tous. Le sultan sortait de son palais et c’est comme s’il l’emportait partout avec lui, comme si le sultan et son palais se confondaient pour inspirer, là où ils passent, le respect, la crainte et l’émerveillement.
Hassan II disait que le trône des Alaouites était sur la selle de leurs chevaux. Ce n’était bien sûr pas une boutade. Et ce n’était pas le propre des seuls Alaouites. Le trône des sultans du Maroc, d’une manière générale, était sur la selle de leurs chevaux. Et le trône lui-même n’est qu’une image réduite du palais. C’est en tout cas cela que la longue histoire du Maroc nous aura appris. En nous donnant beaucoup à voir, bien entendu.
Karim Boukhari, Directeur de la rédaction