Il y a un an, les relations entre le Maroc et les Etats-Unis étaient ponctuées par un moment difficile, suite au rapport du Département d’Etat sur les droits de l’homme. L’ambassadeur américain Dwight Bush a été convoqué au ministère des Affaires étrangères par le ministre délégué de l’époque, Nasser Bourita, ainsi que par le patron des services extérieurs, Mohamed Yassine Mansouri, pour lui spécifier quelques incongruités, reconnues ultérieurement par l’ambassade américaine à Rabat. La manière n’était pas heureuse, bien sûr. Dans la foulée, le roi MohammedVI avait critiqué, en avril 2016 à Riyad lors du sommet du Conseil de Coopération du Golfe, le double langage des pays occidentaux, faisant allusion à l’affaire du Sahara, les tenant en sibylline pour responsables de ce grand chambardement appelé le Printemps arabe qui, selon l’expression du souverain, s’est révélé un automne dévastateur. Et de poursuivre, à l’adresse des pays du Golfe : « Ce qui vous touche, nous touche ».
La réponse de l’ambassadeur américain ne s’est fait attendre, quand, dans une université de Marrakech, il avait rappelé que les relations entre les Etats-Unis et le peuple marocain sont stratégiques. La précision est de taille.
La petite phrase de cette identification du Maroc avec les pays du Golfe n’a pas plu aux pans amazighistes, pour qui l’amazighité n’est pas réductible à la langue, mais surtout à des choix stratégiques sur les plans politique et culturel. À quoi bon spécifier dans le texte fondamental la dimension amazighe du Maroc et s’identifier avec les pays d’Arabie ?
Nous savons que le mot «Renseignement» n’est pas «Intelligence», que les pays anglo-saxons, qui ont forgé le terme «intelligence», travaillent non seulement sur les faits et les personnes, mais aussi sur les idées et les mouvements qui les traversent ou les tendances lourdes et les lames de fond. Elles comptent plus que les personnes. Si, peut-être, nous pouvons reconnaître quelques mérites à nos fins limiers, force est de reconnaître qu’ils travaillent sur les faits et les personnes, avec les moyens techniques qui rendent aisés le pistage et la traçabilité, peu sur les mouvements d’idées. Cette charge était en fait remplie par les pays «amis» qui conseillent ou soufflent sur les tendances lourdes, selon leurs intérêts bien sûr. Leur engagement n’est pas indéfectible. La petite phrase de l’ex-ambassadeur américain en dit long sur la nouvelle orientation.
Le pouvoir, avec ses appareils, bons dans le Renseignement, peu rompus à l’Intelligence, a montré ses limites. Les intermédiaires, censés servir de pare-choc, ont été ridiculisés dans leur verdict à l’emporte-pièce sur la nature du Hirak du Rif, l’accusant de séparatisme, et l’administration territoriale, censée gérer la population et les élites, a été confinée dans des approches techniques où le « process » tient lieu à ce qui faisait la force de cette administration : l’obligation de résultat. L’administration territoriale gérait, de concert, la population, les élites et les choses, ces trois dossiers étant interdépendants. L’approche technocratique à la gestion de la situation a été mise à nu avec le projet « Al Hoceïma, Phare de la Méditerranée».
Le Hirak est l’expression de la faillite d’une gouvernance, tout comme il sonne le glas d’un modèle économique qui est une reproduction des économies duales, en vogue pendant l’ère coloniale, sans impact réel sur la population.
Un pays, comme un individu, fait face à des défis. Il peut faire preuve d’ingéniosité et de courage et il arrive à les contourner, voire à en faire un tremplin. Il les ignore ou feint de les reconnaître, faisant confiance à son appareil coercitif et de propagande et, dans le cas d’espèce, il fonce sur le cumulus. Il est salutaire de se ressaisir.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane