Un ami français qui avait l’habitude de fournir du matériel électronique aux services secrets de l’armée israélienne et à un certain nombre de services du Monde arabe, me dit un jour, alors que l’armée israélienne s’acharnait sur les Palestiniens : «Je suis d’accord avec toi, j’ai moi aussi mal au cœur à cause de ce qui se passe en Palestine, je sais que les Palestiniens sont les victimes d’une injustice, je sais que cette terre n’appartient pas à cet ensemble de populations venues de toutes parts, mais je ne peux jamais imaginer les juifs sans état».
Cet ami, décédé aujourd’hui, n’était pas juif, mais né chrétien, il était humaniste et aimait les Arabes. Avec cet ami, j’ai connu une autre personne qui travaillait elle aussi avec les Israéliens et se chargeait surtout de mettre en place les abris personnels contre les attaques nucléaires pour certains dignitaires arabes. Cette personne qui n’était pas juive non plus, avait été recrutée avec les manières les plus diaboliques. Le Mossad est allé fouiner dans son histoire familiale et est tombé sur une grand’mère du XIXème siècle qui, parait-il, était juive. On lui colla le virus du doute et on le submergea d’informations et de documents, probablement fabriqués, pour le convaincre de son ascendance hébraïque. A-t-il pu refuser ? Non !
Ces deux exemples m’ont toujours laissé perplexe sur la relation de l’occidental en général et du Français en particulier à la question juive. Comment est-on venu à sacraliser la chair juive ? Car il s’agit surtout de cela en fait. Comment est-on arrivé à refuser catégoriquement qu’une goutte de sang juif ne soit versée et accepter que le juif verse le sang des autres ? C’est à cause de l’holocauste ? me dira-t-on, l’extermination méthodique qui reprenait à son compte l’ancienne querelle entre les Chrétiens et les Juifs depuis que ces derniers avaient, selon une narration particulière, œuvré au crucifix du Christ. L’Europe du XIXème siècle et du début du 20ème avait un triste et atroce regard sur le juif, quasi inexistant dans les sociétés arabes et surtout palestinienne de l’époque.
«Le juif est l’usurier cupide, livré aux bas instincts de la rapine. Il est souvent laid, et s’il est beau c’est pour mieux séduire et tromper, il ressemble à un animal, en général à un rapace- le nez crochu- ou encore à un colporte, et en peuple, à de la vermine. Il a une odeur particulière, et même converti, il gardera ses caractéristiques de juif». (Henry Méchoulan, Le Juif dans le roman du XIXème siècle). Il s’agit ici d’une haine viscérale qui déshumanisait le juif et le livrait ainsi à la triste vindicte populaire. Cette haine vient de la relation des juifs avec les chrétiens. Les romans ne renvoyaient que l’écho de ce qui se passait dans la société.
Mais la haine s’est transformée en cannibalisme. L’Europe il faut le dire, s’est permis la chair juive. Toute une population a été cannibalisée au vu et au su de tout le monde. Mais le génie sioniste réside dans le fait d’avoir transformé ce triste et horrible événement en une faute collective. Ce ne sont pas les nazis, ni leurs alliés, les coupables, mais même ceux qui ne savaient pas doivent endosser la responsabilité. De là vient cette force hypnotisante dont use la machine informationnelle pour subjuguer et anesthésier la raison occidentale quand il s’agit de l’État hébreux ?
Le sionisme a su transformer le péché fondateur du culte catholique, celui de la culpabilité, et l’adapter aux principes de la modernité tout en usant d’une morale religieuse archaïque. « Le christ est mort pour nous sauver il ne faut plus le laisser mourir une deuxième fois », disent les chrétiens. Je ne sais par quel détour magique le sionisme a pu remplacer le juif de l’holocauste par Jésus de Nazareth. L’européen sent qu’il a une dette envers le juif, seulement cette dette est rendue insolvable. Il fut la porter éternellement comme le péché originel.
Même les flots du sang palestinien ne sont pas en mesure de laver cette dette. Le carnage qui se passe en Palestine semble être une catharsis pour l’âme européenne, elle en veut davantage pour guérir.
Mais quand guérira-t-elle ?
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane