Danseur mais aussi cinéaste, peintre et sculpteur, Lahcen Zinoun nous raconte les épisodes singuliers qui ont marqué sa vie et son parcours.
Quelle était votre situation familiale et sociale à l’époque de votre naissance et votre enfance ?
Mes parents se sont connus à Casablanca. Mon père, tout comme son père, était cheminot. Il travaillait dans les trains à charbon, son dos brûlé en a d’ailleurs gardé les stigmates. J’aurais dû naître à Meknès mais, étant donné l’incarcération de mon oncle et de mon grand-père à Casablanca pour faits de résistance, mes parents ont fait le choix d’y rester. C’est ainsi que je vois le jour le 14 septembre 1944 qui correspond à la nuit sacrée du ramadan. J’ai grandi dans la cité ouvrière marocaine de Casablanca qu’on appelle Socica. Ce petit quartier est de style mauresque, à l’image de celui des Habous construit par les Français. J’en garde un souvenir heureux où les gens modestes se vouaient un profond respect. J’ai par exemple le souvenir de mon père descendant de son vélo à l’entrée de la cité pour y circuler à pied et dans le calme. Il n’était pas seul à se comporter de la sorte. Quant à nous les enfants, il était risqué et difficile de faire des bêtises tant tous les adultes participaient à notre éducation. Aujourd’hui complètement décrépie, la cité était à l’époque tout à fait charmante bien que nous étions au départ privés d’eau et d’électricité. C’était encore sous le Protectorat un véritable ghetto, sans écoles mais avec l’indéboulonnable fqih tout-puissant chargé de l’éducation islamique dans la mosquée. J’ai des souvenirs glaçants de ce sinistre personnage, qui frappait les enfants qui osaient se retourner pour le regarder car il pratiquait des attouchements sur certains de ses élèves. Dans le quartier, ce personnage supposé pieux était insoupçonnable. Il se conduisait d’ailleurs comme un roitelet qui incarnait la loi. Terrorisé, j’ai quitté l’enseignement coranique au bout de seulement trois jours.
À quel moment découvrez-vous l’art de la danse ?
C’est au cœur de la Socica que je découvre la danse pour la première fois. La cité étant réservée aux ouvriers venus de tout le pays, les familles faisaient venir leurs tribus restées dans les régions d’origine à l’occasion de cérémonies comme les mariages ou les naissances. Après avoir installé les structures de fête dans les rues éclairées par de grands feux nocturnes, des musiciens animaient le quartier où les danseurs exécutaient leurs rituels. Ces spectacles de rue m’ont tout de suite passionné par la force et la magie qu’ils véhiculaient. Ils m’ont procuré mes premiers frissons artistiques. Ainsi, j’ai passé en revue tout le folklore marocain au bas de ma porte. Ce n’est donc pas moi qui suis allé vers la danse, mais plutôt la danse qui est venue vers moi. Avec mes copains d’enfance, nous nous amusions également à jouer de la musique avec de petits instruments achetés ou bricolés. Je me souviens également de notre passe-temps favori, celui de tourner de petits films grâce à une caméra 11 mm que nous louions pour pas cher dans une boutique du quartier. C’est vous dire mon penchant pour le cinéma depuis ma plus tendre enfance
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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