Il y a tant à dire après le séisme qui a frappé le Maroc, dans la nuit du 8 au 9 septembre 2023. Le ressenti a été décuplé par l’effet des réseaux sociaux et l’incroyable masse d’images, d’informations, de commentaires…
Tout cela a fait que chacun a tremblé à sa manière, à son niveau. Il y a ce sentiment de trouble, voire de chaos, de peur panique… Le séisme du Haouz est devenu une affaire personnelle. Parce qu’il a été vécu en temps réel, en prise quasi-directe, sans filtre ou presque, offrant à tous la possibilité de se projeter, de compatir et de contribuer, même de loin, à l’élan général de solidarité.
L’effervescence a été telle, et l’impatience aussi, que personne n’est en mesure, ni même en droit, pourrait-on dire, d’attendre la décantation de tous ces éléments. Malgré tout, il faut tenter de faire la part des choses, distinguer l’essentiel du superflu, le permanent du factuel, le structurel du temporaire. Facile à dire… En plus de la lucidité, qui n’est pas donnée à tout le monde, il faut aussi faire preuve de ce courage nécessaire pour appeler les choses de leur nom.
ans quelques années, on oubliera le conjoncturel, comme cette énième et pitoyable crise d’égo née en France. Tôt ou tard, on reviendra à l’essentiel. Que l’on peut résumer en deux points, sans plus.
Le premier, c’est que le vaste pays qui s’étend de Marrakech à Taroudant, et qui a vu naître tant de grandes destinées, vit depuis trop longtemps dans une précarité qui a atteint les limites du tolérable. Ce constat est une blessure. Le séisme n’a fait que la rouvrir.
Certaines routes n’ont pas été réaménagées depuis l’époque de la «pacification». Et ce n’est pas peu dire. Demandez aux jeunes écoliers qui doivent emprunter plusieurs moyens de locomotion, entre les archaïques (mulet) et les modernes (moto, camion…) et marcher encore et encore, avant de rallier leurs écoles. Les distances pourtant courtes s’allongent à n’en pas finir…
Demandez aussi aux familles qui doivent «puiser» de l’eau potable à l’ancienne, du fond d’un puits qu’elles se partagent avec d’autres habitants du douar, sans pouvoir profiter des eaux d’un barrage hydroélectrique au pied de la montagne.
Voilà qui situe les attentes de la population du Haouz, que la tragédie du 8 septembre ne fera que démultiplier. Cette région a besoin d’un plan de développement global, qui place l’élément humain au cœur de l’ouvrage.
L’Agence du Haut Atlas, dont la création est imminente, apportera peut-être un début de solution, de réponse.
La deuxième blessure profonde du séisme du Haouz touche à un point qui est à la jonction du matériel et du non matériel. Parmi les murs effondrés, certains emmagasinaient une partie de l’histoire du Maroc. C’est cette histoire qui a été endommagée, et par certains endroits effacée.
Prenez un site comme Tinmel, berceau de la civilisation almohade, dont la mosquée a été tant de fois restaurée au fil des siècles, et qu’il va encore une fois falloir restaurer.
Mais derrière Tinmel, que de sites répertoriés ou non, que d’objets anciens, de pièces de monnaie, de bois, de métal, que de matériel ancestral, que de produits du terroir et de témoignages vivants du savoir faire des hommes et des femmes, de leur génie, de leur histoire, ont été brisés, ensevelis et perdus, en cette dramatique nuit du 8 au 9 septembre.
Ce n’est pas seulement la grande histoire qui est en péril, mais aussi les petites histoires, celles des gens ordinaires, ce qu’on appelle la mémoire. Cette blessure-là ne se fermera pas de sitôt. Elle continuera de saigner, au Haouz et ailleurs.
Il y a le mektoub, bien sûr, contre lequel personne ne peut rien. Le risque zéro n’existe pas. Mais il y a le reste, tout le reste, cette part variable, sur laquelle on peut agir pour réduire les dégâts et panser les blessures. Il faut préserver, sauvegarder, restaurer, réhabiliter, conserver, archiver, etc.
Cet effort, qui a été entamé, doit passer à une vitesse supérieure. C’est une priorité. Il faut sauver l’existant, déjà, avant de réinventer le disparu. Le drame du Haouz est une piqure de rappel.
En matière de catastrophes naturelles (séismes, inondations, éruptions volcaniques), le Japon est l’un des pays les plus touchés, les plus exposés. Ce qui ne l’a pas empêché de se développer mieux que les autres. Et de préserver sa mémoire comme un homme le ferait de la prunelle de ses yeux.
Par Karim Boukhari
Directeur de la rédaction