Il arrive, dans la vie d’une publication, de faire une sorte d’arrêt sur image, tout en continuant à arpenter des terrains souvent escarpés, au grand bonheur des lecteurs. Cela peut prendre la forme d’un moment de réflexion et de mise à l’épreuve sur un sujet de première importance dans la longue marche vers un État de droit et des institutions. À titre illustratif et démonstratif, nous avons choisi de vous proposer un dossier sur les partis politiques marocains, dans le contexte historique de leur création et dans les péripéties et les métamorphoses de leur genèse. Un exemple test que nous avons estimé, librement, parfaitement conforme à un magazine comme le nôtre, dont l’histoire est son créneau unique et l’indépendance éditoriale sa devise. Il ne s’agit pas moins, comme à chaque édition, que de s’essayer au recul nécessaire pour le traitement du fait historique en général et de ce thème en particulier.
Tout le problème, encore une fois, comme d’habitude, est de ne pas succomber à quelques écoles de pensée clé en tête, qu’elles soient desservies ou bonifiées par le temps, ni à quelques a priori déclaratoires qui espèrent peser sur le présent. Notre travail consiste à porter un regard scrutateur et interrogateur sur les faits et rien que les faits, à écouter leur silence et à être attentif à leur éloquence à partir de questionnements de référence pertinents. Sur ce registre, nous n’avons rien inventé. C’est là une procédure méthodique qui prétend à un seuil certain de rigueur objective et qui se défend de tout alignement dogmatique et de tout parti pris.
C’est en résumé, le protocole de travail que nous nous imposons à chaque numéro, dans l’espoir de répondre à votre besoin de connaître et de comprendre un tant soit peu l’histoire de notre pays.
L’exercice devient encore plus périlleux, lorsque le dossier du mois traite des partis politiques. Rarement, un thème ne s’est autant inscrit entre un passé difficile à occulter, un présent bruyamment interpellateur et des perspectives plutôt brumeuses. C’est dans une mise en interface de ces trois données que les choses se compliquent. La difficulté est patente ; la marge de recul est réduite. Pourquoi avons-nous décidé d’y aller, quand même ? Pas que nous aimons particulièrement la complexité. Mais parce que l’histoire, creuset des faits et gestes des hommes, est par nature complexe. Et puis, par engagements envers vous, notre lectorat. L’autre piège, pratiquement annoncé, est celui de la facilité. Taper sur les partis est devenu une pratique courante. Seuls les tapeurs ont changé de camp. Sous Hassan II, c’est le pouvoir qui s’en chargeait avec la hargne et la constance, du moins dans ce domaine, que l’on sait, jusqu’aux dernières années de sa vie. Avec une préférence répressive et sélective pour les partis de l’opposition historiques, porteurs d’idées socialistes à des degrés variables. L’UNFP, l’USFP, le PLS et les groupes qui allaient, par la suite, former le PSU ont en fait les frais.
Depuis que l’espace démocratique est devenu un peu plus élastique et que l’expérience de l’alternance au pouvoir exécutif a montré, de façon précoce, ses limites, l’attitude des Marocains à l’égard des partis a changé. Un regard de déception, mêlé à une certaine suspicion. Évoquer et expliquer la mutation, voire la métamorphose de certains partis, n’est pas de l’anti-partisme primaire, aussi vrai qu’il n’y a pas de démocratie pluraliste sans partis politiques, plus exactement sans multipartisme. Ce n’est pas non plus un parti pris de type nihiliste. Dire que des partis, parmi les plus attendus, ont beaucoup perdu de leur aura populaire, avec ou sans usure du pouvoir, n’est pas un appel à la rue. À la limite, être traversé par un sentiment de désespérance relative ou momentanée de l’échiquier politique existant, n’est pas forcément rêver « d’un grand soir ».
Ceci dit, les membres de la rédaction de Zamane ne sont pas les dépites d’un apolitisme béat. Ils ont leurs convictions et leurs principes. Les seules obligations qu’ils assument volontiers, ce sont le respect de la déontologie professionnelle et la recherche de la vérité historique avec les recoupements nécessaires. Ils ont surtout conscience que l’histoire du Maroc est notre patrimoine commun, notre bien le plus précieux, au même titre que l’intégralité du territoire national. À cette nuance près que cette histoire n’est pas frileuse. Elle n’est ni linéaire, ni univoque ; mais parfois paradoxale et surprenante. Elle a suffisamment d’épaisseur pour supporter, non seulement les exégèses de thuriféraires attitrés, mais aussi les approches critiques sérieusement menées.
Toujours sous votre contrôle ; vous, nos lecteurs, et sans aucune autre influence que votre jugement. C’est d’ailleurs grâce à vous que votre magazine connaît une croissance soutenue qui a atteint quelque 20 % pour l’année 2013. Ce qui fait de Zamane (pour la deuxième année consécutive) le 1er mensuel francophone marocain en termes de ventes, selon les derniers chiffres de l’OJD Maroc (Organisme de justification et de la diffusion). Nous ne saurions assez vous remercier…
YOUSSEF CHMIROU, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION