L’histoire se passe à Médine, capitale du jeune État musulman. Une femme et ses deux filles viennent voir le prophète pour se plaindre. Son mari est mort dans une bataille contre l’ennemi et elle s’est retrouvée, avec ses filles, sans ressource ni revenu, car le frère de son mari s’est emparé de tout l’héritage. Le prophète console la veuve et la rassure. Il lui dit que Dieu finira par trancher dans cette affaire. Quelques jours après, le verset qui organise les règles de la succession en Islam est révélé. Désormais, les femmes ont le droit d’hériter et de recevoir la moitié de ce qui revient aux hommes. Le prophète appelle le frère du défunt et lui demande de donner les deux tiers du patrimoine à ses nièces et le huitième à la veuve, selon les nouvelles règles instaurées par l’Islam. Cette mesure était alors une révolution, un bouleversement majeur dans une société qui n’accordait rien aux femmes. Selon les coutumes de l’époque, seuls les hommes capables de se battre, de monter à cheval, de défendre par l’épée les biens de la tribu méritent l’héritage. Le verset qui accordait une part de la succession aux femmes rectifiait une injustice et rendait hommage à ces dames qui faisaient partie du premier noyau de la communauté musulmane.
Quinze siècles après, cette injustice subsiste encore. L’élan d’équité qui animait le texte religieux, relatif à l’héritage des femmes, s’est transformé en carcan à cause des interprétations figées. À chaque fois qu’une voix s’élève pour demander une relecture rationnelle qui correspond à l’évolution de la société marocaine, les conservateurs poussent des cris d’orfraie et dénoncent une atteinte à la sacralité du coran. Les tenants de cette vision, crispée et traditionnelle, arguent que ces versets sont immuables, qu’ils sont valables de tout temps et en tous lieux et qu’ils échappent à l’Ijtihad, cet effort d’interprétation que Dieu a offert aux Hommes. Si l’on se fie à eux, le monde ne change pas, les mentalités ne se transforment pas et un Marocain vivant au XXIe a le même univers culturel et social qu’un habitant de La Mecque du VIIe siècle. Ils s’arcboutent et s’accrochent à la lettre du texte coranique et sacrifient son esprit et son âme, oubliant que l’Islam était à l’origine une révolte contre l’inégalité et l’injustice et non pas une compilation d’interdits comme ils en font aujourd’hui. Ces conservateurs ne se penchent jamais sur l’exemple du calife Omar qui a considéré que certains versets du coran ne sont plus applicables, dix ans après la mort du prophète, car les conditions de leur révélation ont changé. Rappelons que Omar a refusé de donner une partie du butin de guerre aux chefs des tribus, comme le précise le coran, car il a estimé que l’Islam était désormais fort et n’a plus besoin de s’offrir le soutien de ces notables. Il suffit aussi de lire le coran pour s’apercevoir que certaines de ses dispositions, liées à des circonstances ou conditions historiques particulières, ne peuvent plus être appliquées de notre temps. C’est ainsi que les versets qui autorisent le mariage aux esclaves ou ceux qui incitent les musulmans à combattre les infidèles et les tuer là où ils se trouvent n’appartiennent plus à notre monde et civilisation.
Les conditions liées aux textes qui régissent l’héritage en Islam ont également changé. La femme n’est plus cet être mineur et subalterne que l’homme doit chaperonner, nourrir et corriger s’il s’égare. Elle n’est plus réduite à l’exécution des tâches domestique, sans possibilité de recevoir une éducation ni opportunité d’exercer une activité professionnelle. Les femmes de nos jours font des études, travaillent et produisent de la richesse nationale. Certaines d’entre elles brillent dans leur domaine et éclipsent, par leur intelligence et compétence, leurs collègues masculins. Elles ne vivent plus aux crochets de leurs maris ou leurs pères, mais subsidient fortement aux besoins de leurs proches. Mieux : selon les chiffres officiels, une famille sur cinq au Maroc est entretenue principalement par une femme. Le sempiternel argument de la «Qiwama», tutelle des hommes sur les femmes, n’a plus lieu d’être, car son fondement économique s’est affaibli, sinon évaporé. À une situation nouvelle, une réponse nouvelle s’impose. Le souffle équitable et noble qui portait au début les versets sur l’héritage des femmes doit être rétabli. La révolution contre l’iniquité et l’inégalité, initiée par le prophète Mohammed depuis 15 siècles, mérite d’être poursuivie. Mieux vaut tard que jamais.
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Bonjour, j’ai lu avec interêt votre article même si j’ai trop hésité avant vu qu’on a beaucoup parlé de ce sujet ces derniers jours (ce qui n’est pas un problème) mais encore faut il que ce ne soit pas fait par n’importe qui.
La comparaison que vous faites entre les versets coraniques qui étaient jugés invalides par le calife Omar et ceux que vous vous êtes permis de juger invalides aujourd’hui ne me semble pas juste.
Vous comparez le changement de conditions historiques avec le changement d’un être humain. Si vous dites que la femme est aujourd’hui un être libre alors vous impliquez qu’elle ne l’a jamais été ce qui n’est pas le cas. La femme a toujours été respectée par l’Islam et les Musulmans que ce soit au VIIe ou au XXIe siècle.
Aussi, vous devez savoir que l’Islam n’accorde pas le pouvoir de l’Ijtihad à tout le monde. Les savants sont les seuls qui peuvent aujourd’hui juger et interpréter les versets Coraniques. Mais alors faut il que vous acceptiez ce fait. Aujourd’hui tout le monde se permet d’être le calife Omar, et c’est ça le malheur.