Les discours sur l’identité ont gagné en visibilité depuis que la classe, comme catégorie d’appartenance, a été bousculée suite au chancellement du socialisme. On s’identifie depuis le grand soir du socialisme, à son ethnie, sa religion, sa langue, son genre, voire à son orientation sexuelle. Les Etats-Unis avec le combat des minorités (blacks, hispaniques, féministes et autres catégories sociales et ethniques), avaient donné le ton et ont fini par déteindre sur le monde.
Le monde s’est américanisé sur le registre de sa représentation, comme sur d’autres. La France, berceau de la citoyenneté et des droits de l’homme, a cédé à l’attrait du communautarisme. Elle le paye chèrement. Les combats autour de l’identité sont légitimes, nous dit le philosophe français Frédérick Lordon, à condition de ne pas détourner sur l’essentiel, faire un bloc commun des laissés pour compte. Toutes les luttes sont égales en légitimité, quand bien même diffère leur périmètre. Mais une lutte qui annihile une autre, perd en légitimité, car in fine, cela fait le jeu de la domination capitaliste.
Le risque avec les identités, c’est qu’elles contribuent à la diversion et à briser le bloc socialiste, disent deux sociologues français, Stéphane Beau et Gérard Noirel, dans leur dernier ouvrage («Race et sciences sociales»), qui s’inscrivent dans la tradition de Pierre Bourdieu. Ils réfèrent aux travaux du sociologue américain Michael Walzer, un des fervents défenseurs du mouvement noir américain, qui constate son impasse pour avoir refusé de s’allier à d’autres composantes. Le combat identitaire n’a de chance que s’il s’allie à d’autres combats. Il faut guérir de la séparation et de l’inattention qui marquent les mouvements identitaires.
La gauche en France a perdu de son attrait, pour s’être arcboutée sur les questions de l’immigration et de la laïcité que sur la distribution du capital. Or, c’est là le fond du problème, et que le bât blesse.
Les questions relatives à l’identité sont chez nous de l’ordre de l’impensé. Personne ne peut remettre en cause la légitimité des combats sur l’identité. La classe seule ne pouvait rendre compte de la dépréciation dont souffrait celle ou celui, dans la langue, la culture, n’étaient pas reconnues, avec des cadres de représentations, au sein du champ politique qui refusaient de les voir. Mais est-ce sage de saucissonner un corps, sur la base de ses composantes ? Le combat d’une composante doit-il détourner des autres ? La diversion ne fait-elle pas le jeu de l’ordre conservateur ? Toutes ces questions sont légitimes. Peut-être que notre regard sur l’impasse des discours identitaires, outre mer, pourrait nous ouvrir les yeux sur notre réalité. On ne peut aborderles questions relatives aux appartenances identitaires par des joutes, ou par le simple jeu des accommodements raisonnables (comme disent les Canadiens) ou déraisonnables, comme c’est souvent le cas, mais par une approche objective.
Disons, pour faire court, que les discours identitaires aboutissent à des impasses. Ils s’ignorent et se neutralisent. Le combat devrait porter sur les valeurs de justice sociale et de dignité. À défaut d’un cadre qui pourrait les contenir. La classe n’est pas une vieillerie, et les discours identitaires sont des cache-misères à la lutte des classes.
Plusieurs illusions indispensables, ont perdu de leur attrait, depuis deux lustres. Ne devrons-nous pas actualiser notre analyse et changer d’approche ? Penser les identités, en commençant par les impasses des discours qui les portent.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane
bravo