Au début des années 1960, les tensions post-coloniales apparaissent au grand jour. Le Maroc et la Tunisie connaissent à cette période une brouille diplomatique majeure. La question mauritanienne est au cœur d’une crise peu connue.
Au début de l’année 1960, la France, après avoir accordé une large autonomie à la Mauritanie, dirigée par son Premier Ministre Mokhtar Ould Daddah, souhaite s’assurer des bonnes dispositions de la future République Islamique. Le Maroc est indigné et considère que ce territoire devrait être sous sa souveraineté. C’est finalement à l’ONU que se tranche le débat de l’indépendance de la Mauritanie. Quelques semaines avant le vote de l’ONU concernant la résolution qui permettrait à la Mauritanie de devenir un état indépendant, des rumeurs sur l’appui tunisien à Ould Daddah affolent le Palais de Rabat. Des bruits de couloirs qui ne tardent pas à se confirmer. Le 22 novembre 1960, l’ambassadeur de Tunis à Rabat sollicite une entrevue avec le roi Mohammed V. Il souhaite remettre au souverain une lettre de Habib Bourguiba, croit savoir une dépêche de l’AFP (Agence France Presse) datée de ce jour. Le «combattant suprême» y explique à son homologue marocain son intention de, non seulement reconnaitre le futur Etat mauritanien, mais aussi de parrainer sa candidature dans les instances onusiennes. Le lendemain, 23 novembre, Saddok Mokaddem, Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères tunisiennes, confirme publiquement les intentions de son pays à l’égard de la Mauritanie. A Rabat, le choc est total. Aussitôt, le roi Mohammed V décide le rappel de l’ambassadeur chérifien de Tunis Mohamed El Alami.
La rupture diplomatique est actée. Les nationalistes marocains sont outrés et le font notamment savoir à travers la presse. Dans son éditorial, le quotidien Al Alam accuse Bourguiba d’avoir «opté pour la Communauté française, dont la Mauritanie va faire partie, et pour les sociétés financières qui dominent ce pays». Le journal Al Fajr surenchéri et rend responsable la Tunisie de « détruire l’unité du Maghreb arabe » et de «manquer implicitement à un devoir supérieur de solidarité». Mais en coulisse, le pouvoir marocain souhaite encore pouvoir convaincre le «Combattant suprême» de revenir sur sa décision. Le Prince Moulay Hassan est aussitôt dépêché à Tunis. Un article du journal Le Monde datant du 26 novembre 1960 rend compte de cette entrevue de la dernière chance : «Cette démarche n’a guère été couronnée de succès. Le chef de l’État tunisien a expliqué à son interlocuteur qu’il lui était difficile, après avoir reconnu tous les nouveaux États indépendants d’Afrique noire, d’agir différemment à l’égard de la Mauritanie, qui accédait à la pleine souveraineté par un processus analogue. Après un séjour abrégé, le prince héritier du Maroc a regagné Rabat, convaincu que son pays ne pouvait compter sur le soutien de la Tunisie lors du débat aux Nations unies. Dans la meilleure hypothèse, la délégation tunisienne s’abstiendra ou n’assistera pas à la séance pour n’avoir pas à se prononcer contre les Marocains». A l’ONU, le vote de la Tunisie sur la question mauritanienne n’est de toute façon pas décisif. La brouille entre les deux pays maghrébins relève plus de la symbolique et de l’affectif. La République Islamique de Mauritanie voit le jour officiellement le 28 novembre 1960. Le froid est désormais bien installé entre les deux «pays frères». Seul la disparition du roi Mohammed V en février 1961, et la présence de Bourguiba aux funérailles du monarque, viendra momentanément briser le gel. A cette occasion, les liens diplomatiques sont même rétablis, mais ne dissimulent pas pour autant la fâcherie.