L’histoire incrimine la grande famine des années 1940 à une sécheresse ravageuse. Un alibi qui convient parfaitement au Protectorat, soucieux d’embellir son image au chevet du peuple marocain. La réalité est différente. D’après Boujemaâ Raouyane, un des rares historiens à avoir étudié l’économie marocaine pendant la Seconde Guerre Mondiale, la pluviométrie enregistrée en 1940, 1941 et 1942 atteint pourtant des records. La production de céréales est à son apogée. L’année 1941 est même restée dans les mémoires comme celle du rat («’Am l’far»). Elle est signe d’opulence car la population des rats se multiplie dans les champs. Malgré cela, les producteurs n’en profitent pas puisque la grande majorité des produits sont envoyés directement en métropole. Encore plus que d’autres colonies, le Maroc devient le grenier de la France. Seulement, la combinaison du système de rationnement et de la rareté des ressources disponibles au Maroc entraine le pays vers la catastrophe. Le manque d’hygiène et de nourritures sévit d’abord dans les campagnes où apparaissent rapidement les trois grands fléaux que sont la peste, le typhus et la fièvre récurrente mondiale. L’historien Daniel Rivet parle de «grappes de morts» partout dans le pays. Les archives françaises évoquent des marocains «presque nus», du fait de la rareté du textile. Les linceuls des cadavres sont même régulièrement pillés pour en faire des habits pour vivants. Au point qu’apparaissent en 1943 des linceuls échangeables gratuitement contre un bon de nourriture. La situation est tellement grave que les Français tentent de masquer la réalité en minimisant l’impact de la famine et des épidémies. Les chiffres officiels font état de 200.000 victimes. Pour notre chercheur, la seule année 1945 compte plus de 300.000 morts. L’un des rares recours est de migrer vers des régions bien spécifiques. Les zones de débarquement américain sont moins touchées car les soldats offrent des provisions à la population. Leurs poubelles sont visitées par les Marocains, et un marché est même créé à Casablanca destiné à la revente des vivres et objets récupérés. A l’approche de l’année 1945, tous les voyants sont au rouge et la sécheresse s’invite effectivement au drame. Paradoxalement, la France prépare sa délivrance et n’hésite pas à lancer une souscription pour collecter «le milliard de la libération». Incroyable scénario dans lequel la propagande lance un appel à aider «les enfants de France» dans un pays en pleine famine.
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