Après avoir été privé de tout pendant 18 ans dans les geôles de Tazmamart, la libération est une seconde naissance. Mais notre survivant va découvrir la loi du silence et le rejet de la société. Pour lui et ses camarades, la lutte continue…
Le souvenir de mes premiers instants hors de Tazmamart n’est pas empreint de la joie qu’on pourrait imaginer, mais d’inquiétude, car nous étions tenus dans l’ignorance de notre sort. Après 18 ans passés dans une minuscule cellule, voilà que tout à coup des gendarmes en blouses bleues d’ouvriers nous poussaient dans des camions, escortés par des motards. Où allions-nous ? Menottés, un bandeau noir sur les yeux, ballotés dans tous les sens, nous pouvions seulement deviner que nous suivions des pistes sinueuses et des chemins détournés. Peut-être ressentaient-ils une certaine culpabilité de transporter des individus plus morts que vivants, puisque la plupart d’entre nous étaient allongés dans des civières. Parmi les 28 survivants (sur 58), certains pensaient à un transfert, d’autres espéraient être enfin libérés, ou bien craignaient au contraire d’être liquidés. Personnellement, j’étais optimiste: je me disais que rien ne pourrait être pire que ce mouroir…
A l’aube du 16 août 1991, le convoi débarqua à la fameuse école militaire royale de Ahermoumou, celle dont Ababou voulait faire une seconde Saint-Cyr. Juste après le putsch, le village avait été rebaptisé «Ribat El Kheir». Ironie du sort, on nous installa dans nos anciennes classes, transformées en salles d’hôpital. Etrange retour à la case départ !… C’est là que nous avions enseigné autrefois les principes de la discipline militaire – à savoir l’exécution des ordres de nos supérieurs – qui furent à l’origine de notre calvaire.
Par Abderrahim Sedki
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