Aujourd’hui mal perçu dans une société marocaine conservatrice, le tatouage est pourtant une tradition millénaire. Domaine largement réservé aux femmes, le tatouage marocain risque de disparaître car de plus en plus assimilé à un vice occidental et contraire à la religion. Un débat difficile à trancher…
Par souci de lutte contre l’idolâtrie d’objet ou de personnes, l’Islam a tôt fait d’interdire toute expression artistique figurative. Les textes sont néanmoins moins précis concernant l’art abstrait. C’est justement la caractéristique du tatouage au Maroc. Ce n’est donc pas cet aspect qui fait croître la polémique à ce sujet. Le point de discordance entre pro et anti tatouage réside principalement dans la notion du corps, objet inaltérable de la création divine. Le Coran confirme explicitement cet état de fait sans néanmoins entrer dans le détail : «Certes, je ne manquerai pas de les égarer, je leur donnerai de faux espoirs, je leur commanderai, et ils fendront les oreilles aux bestiaux; je leur commanderai, et ils altéreront la création de Dieu. Et quiconque prend le Diable pour allié au lieu de Dieu, sera, certes, voué à une perte évidente» (Sourate 4 – Les femmes (An-Nisa) – verset 119). C’est donc l’interprétation de la formule «altération de la création de Dieu» qui enflamme les débats sur la légalité religieuse du tatouage. La réponse peut sembler moins évidente pour certains, et comme c’est souvent le cas, les interprètes ont recours aux hadiths (récits rapportés et transmis oralement des paroles du prophète) pour trouver une confirmation plus explicite. L’imam Al Boukhari, le plus célèbre des rapporteurs, fait mention de la question dans son ouvrage : «Allah a maudit celle qui porte une perruque et celle qui l’aide à le faire, il a également maudit la tatoueuse et celle qui se fait tatouer». Ces propos que l’on prête au prophète seraient donc le point d’orgue d’un débat qui n’a pas lieu d’être selon les sunnites, pour qui ce texte est le second plus sacré derrière le Coran. L’interrogation autour de la légalité du tatouage prend en réalité une autre tournure en Islam puisqu’elle concerne en grande majorité les femmes. Or, ces dernières sont censées se faire les plus discrètes possibles. Force est de reconnaître que le tatouage est une forme spectaculaire d’expression et d’affirmation. Soit de l’identité tribale de la tatouée ou, plus gênant encore, de sa beauté. Afin d’éviter ce terrain glissant, les femmes marocaines ne recourent quasiment plus qu’au tatouage provisoire par le henné, qui n’est pas considéré comme une mutilation éternelle du corps. Enfin, le sociologue marocain Abdelkebir Khatibi y va également de son explication : «Il s’agit de l’interdit jeté sur lui (tatouage, ndlr) par les grandes religions monothéistes, comme si l’écriture divine voulait effacer d’un trait palimpseste toute écriture ultérieure, surtout celle tracée sur le corps».