Les élections présidentielles américaines ne sont pas qu’américaines, et celles qui se dérouleront la première semaine de novembre auront une portée plus grande que les précédentes. Un nouveau monde se profile où la prééminence des états-Unis est menacée. La guerre froide est de retour, avec ce que les états-Unis appellent le pouvoir communiste en Chine, et une nouvelle carte est en train d’être battue avec de nouvelles règles.
Quelque soit le locataire de la Maison Blanche, les affaires étrangères reprendront leurs droits. L’approche comptable de Trump est attentatoire à l’impérium américain. On reviendra peut-être à cette approche d’Obama, de mener le jeu «from behind». Ou sans apparaître. Autrement dit, une politique basée sur des alliances et des alliés.
Sur le plan militaire, aucune nation au monde ne peut disputer la prééminence américaine. En termes d’armement, et de quadrillage avec portes avions, bases militaires, alliances. Et surtout de recherches. Et nous savons qu’en Amérique, l’industrie de l’armement a été la locomotive, ou le «Driving force», de l’économie.
Pour le dire court, l’Amérique pèsera et comptera dans le monde post-Covid. Et comme le dit l’ancien Secrétaire américain Bolton dans ses mémoires, récemment publiées, la Chine risque de se réveiller, comme l’avait fait le Japon en attaquant Pearl Harbor, un géant en torpeur.
Le Maroc sera certainement à l’heure des grands choix. Il dispose bien sûr de plusieurs actifs dans ses relations avec les Etats-Unis, une longue amitié tissée à l’épreuve dans la guerre froide, le conflit arabo-israélien, la guerre contre le terrorisme. Dans une région sujette à de grands chambardements, le Sahel en particulier, le Maroc s’est avéré un allié sérieux et crédible.
Or, dans cette nouvelle phase de distribution de cartes, les Etats Unis ne verront pas d’un bon œil une incursion de la Chine au Maghreb, ni celle des Russes. Ils observent la Turquie, dont ils ont besoin pour contrôler la Russie, mais ne peuvent voir le Maghreb échapper à l’emprise de l’Occident, stratégiquement et peut-être culturellement. Ce qui est en jeu aussi est l’Afrique.
Peut-être qu’il reviendra aux Etats unis, plus qu’à la France, de reconfigurer l’Afrique du Nord. La France ne peut enrôler l’Union Européenne, et sa politique maghrébine, basée sur un jeu d’équilibrisme, n’a pas été concluante. On ne peut dans le cas d’espèce parler d’ambiguïté constructive, mais d’équilibrisme néfaste. Seuls les Etats-Unis pèseront pour le règlement du conflit algéro-marocain autour du Sahara.
Stratégiquement, le Maroc a intérêt à préserver ses relations privilégiées avec les Etats-Unis. Il demeure incotournable en matière de guerre contre le terrorisme. Il ne pourra troquer son actif diplomatique et historique, ni pour la Russie, ni pour la Chine, même si vis-à-vis de cette dernière, il privilégiera le pragmatisme en matière économique. Mais il sait, désormais, que même ce dossier, vu de Washington, est appréhendé sous le prisme stratégique. On n’est plus dans le jeu «win win», mais le «zero sum game».
Demeure l’épineux problème du conflit israélo- palestinien. Les regards sont braqués sur le Maroc. Il subit des pressions de toutes parts. Or, comme le dit le stratège chinois Lao Tseu : dans l’inaction, il y a l’action. Il n’est pas dans l’intérêt du Maroc, dans les temps qui courent, de se prononcer. Non par souci d’ambiguïté, mais pour garder son statut d’instance d’arbitrage. Le jeu finira par se décanter. On sait où se trouvent les intérêts stratégiques du Maroc.
À l’heure où ces lignes sont écrites, Mark Esper, le secrétaire d’Etat à la Défense, a été à Tunis et Alger, et sera attendu à Rabat.
C’est certainement une visite de positionnement stratégique. La somme des actes tactiques ne fait pas, bien sûr, une stratégie. Or, l’heure est à la stratégie !
Par Hassan Aourid
Conseiller scientifique de Zamane