Françoise Sagan aurait certainement préféré sa tristesse face au regain du populisme en Occident et ailleurs. Le populisme, cette recette efficace en période de désarroi pour apaiser les angoisses, a de beaux jours devant lui. Il se nourrit des peurs et des replis identitaires. L’enfer est à la fois « le magistère des élites » que l’« Autre » crée puis diabolise. C’est la tendance en Europe et aux Etats-Unis, et cela ne manquera par d’alimenter le populisme, par réaction, c’est-à-dire chez nous. Le Brexit, l’élection de Trump, l’onction de François Fillon en France, sont autant de balises d’un nouveau monde qui se profile. Un monde qui ne fera pas dans la dentelle, ni ne s’embarrassera de nuances. Arrêtons-nous sur cet écrit d’une personne qui a toutes les chances d’être le maître des destinées de la France, M. François Fillon, dans un succès de librairie en France qui porte ce titre révélateur : «Vaincre le totalitarisme islamique».
M. Fillon parle bel et bien de totalitarisme « islamique », dans le titre de son travail, et non « islamiste », même si dans le chapitre de l’intérieur, il apporte la précision et parle de totalitarisme «islamiste». Une petite concession de forme, car il nous rappelle par cette mise en exergue, tirée d’un proverbe persan, que « le serpent change de peau, non de nature ». Comprenne qui pourra. Islam, islamique, islamiste ? Qui en a cure hormis quelques «écervelés» d’experts ? Et quelle est la différence, in fine ? Il met en garde contre le risque d’une troisième guerre mondiale dont « le totalitarisme islamique » serait responsable. Pas moins. Le projet totalitaire, renchérit M. Fillon, tire son origine de «l’histoire relativement ancienne de l’islam » (sic). On serait bien sûr tenté de reproduire l’argument de feu Hassan II, contre l’ancien secrétaire général de l’OTAN, M. Claits, en 1994: le monde musulman n’a pas de Pacte de Varsovie. Et il est pluriel… Parler de troisième guerre mondiale, n’est-ce pas là de l’autosuggestion ?
La France est menacée de l’intérieur, renchérit le candidat à la magistrature suprême, et il faudra « reconquérir les territoires perdus de la République ». Les seuls responsables ne seraient pas que les Français musulmans, mais ceux de gauche aussi. Ecoutons M. Fillon pour ne pas travestir ses idées : «Le totalitarisme islamiste veut nous engluer. Combien de ces jeunes nourrissent les messages insensés racistes, sexistes, antisémites, homophobes qui pullulent sur les réseaux sociaux… Il faut entendre les appels à la barbarie de ces Français musulmans ou convertis, pour mesurer l’ampleur du défi qui est face à nous. Je me moque de ce débat byzantin sur le bien-fondé ou non du mot assimilation». M. Fillon n’est ni dans la nuance ni dans le débat.
Le terrorisme n’est pas que l’affaire de la France, et c’est réducteur que de focaliser le mal français à ses symptômes. La conclusion de Fillon dans son livre laisse pantois, comme si la France n’avait que l’Etat islamique comme problème, lequel Etat islamique serait soutenu par tous les musulmans. L’histoire de la France est certes une épopée et M. Fillon égrène ses jalons, mais omet l’essentiel, celui qui renvoie à l’universel, les Lumières, même s’il parle de Révolution citoyenne. Celle-ci, dans l’esprit des ses promoteurs, était universelle, et c’est ce qui avait fait la grandeur de la France, avec ces militants qui ont combattu pour l’indépendance américaine, au nom des Lumières, les Saint-simoniens qui ont fait la renaissance égyptienne, et d’autres humanistes qui ont fécondé des civilisations sclérosées. M. Fillon nous reprochera-t-il d’avoir comme grands amis Ronsard, Du Bellay, la Boétie, Voltaire, Auguste Comte, Sartre ou Pasteur ? Voudrait-il, et ceux qui s’identifient à lui, nous voir englués, par réaction, dans un repli identitaire, dévastateur et dangereux ? Car les seules voix qui porteront chez nous, par réaction, seront celles de même aloi que les populistes d’outre-mer.
J’appelle Lamartine à la rescousse quand il fut débouté en 1848, face à Louis Napoléon Bonaparte : « Il y a des moments d’aberration dans la multitude, il y a des noms qui entraînent les foules comme le mirage le troupeau, comme le lambeau de pourpre attire les animaux privés de raison». Triste fin pour l’Empereur. Le « Lac » nous habite toujours.
ô temps ! Ne suspends plus ton vol !
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane