Benjamin Stora est historien, auteur d’une trentaine d’ouvrages. Ses recherches portent sur le Maghreb contemporain, notamment sur la guerre d’Algérie.
Au vu des manifestations du 20 février 2011 au Maroc, pensez-vous, comme l’affirme une opinion répandue, qu’il existe une «exception marocaine» ?
Chaque pays est une exception en soi, mais le souffle de liberté qui traverse le monde arabe n’en épargne aucun. Je parlerai plutôt de singularité marocaine. Cette singularité réside d’abord dans l’attachement séculaire des Marocains à la monarchie. Elle tient ensuite à la faiblesse de la présence étrangère dans la longue histoire du Maroc, un pays qui échappe à l’Empire ottoman et subi une colonisation française brève (1912-1956). De ce fait, l’Etat marocain connaît une inscription dans la longue durée. Sur ce point, le Maroc se différencie nettement des autres pays arabes où le rapport à l’Etat, en raison de l’histoire, n’est pas le même. En revanche, il y a ici comme ailleurs, les mêmes problèmes : gouvernance opaque, corruption, injustice, etc. Ce que demandent les sociétés arabes, et la marocaine en particulier, c’est la mise à niveau et le contrôle des normes démocratiques classiques.
Estimez-vous que le scénario d’une monarchie parlementaire à l’espagnole est aujourd’hui à portée de main au Maroc ?
« A portée de main », il est difficile de le dire, car il existe une tradition forte de la monarchie, quasiment « de droit divin ». Mais les mouvements actuels qui visent l’établissement des normes démocratiques poussent de manière pressante à s’interroger sur la mise en place d’une véritable monarchie constitutionnelle. Ce débat, cette revendication ne datent pas d’aujourd’hui au Maroc, mais ils vont se poser avec de plus en plus d’ampleur, notamment sous la pression de la jeunesse. Les jeunes qui ont entre 20 et 30 ans ne peuvent pas comprendre le fonctionnement actuel de la monarchie. Vivant dans un monde globalisé, cette nouvelle génération culturelle est ouverte à l’extérieur et a d’autres références que la seule tradition nationale. C’est un autre monde qui émerge sous nos yeux.
Propos recueillis à Paris par Ruth Grosrichard
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