Les observateurs de la scène artistique marocaine relèvent avec beaucoup d’étonnement la prolifération d’un nouveau genre de gestionnaire de la production des artistes. Il s’agit du curator. Le mot, qui sonne bien en anglais, n’est autre chose que le curateur en français, qui dans le domaine juridique signifie : personne commise par la loi pour administrer les biens et protéger les intérêts d’une autre personne. Ainsi on parlait dans la loi française de : curateur d’un mineur émancipé, est le chargé d’assister un mineur dans les actes juridiques qu’il n’a pas la capacité de faire seul. On peut ainsi multiplier les exemples en parlant de curateur d’un aliéné ou d’une veuve…
Le terme a bien muté sans grand changement au niveau de sa signification. Le curateur dans le domaine de l’art semble s’octroyer le droit de s’occuper des artistes. Il dégage le créateur et va lui seul à sa guise présenter le travail des artistes. J’ai plusieurs fois eu l’occasion de rencontrer ces espèces dans des foires d’art surtout, où ils parlent de tout sauf des artistes. Ils confectionnent des sujets où souvent leur égo est bien mis en valeur et vont ainsi sillonner les rencontres internationales pour colloquer.
Fini le temps où on déléguait à un philosophe, à un écrivain de renom ou un célèbre historien d’art de concevoir une exposition. Pour ne citer que l’exemple de la France, il est loin derrière nous le temps où des personnes, avec beaucoup de modestie et sans fanfare communicationnel, concevaient des expositions comme les Immatériaux au Centre George Pompidou ou les Magiciens de la Terre à la Villette. Interroger le clivage entre les cultures et les conceptions artistiques ou mettre en évidence l’achèvement d’une période et l’inquiétude d’une époque naissante à l’aube de la postmodernité.
Aujourd’hui les curateurs sont formés dans des universités, ils ont des licences, ils connaissent les techniques surtout (Marketing et communication). À regarder les expositions qu’ils proposent on sent l’absence du sens. À partir des titres, qui doivent surtout être sexy et accrocheurs, aux contenus qui doivent être abordables pour le large public. Il faut bourrer les expositions d’anecdotes, de trouvailles amusantes et de simplisme intellectuel. Cette démarche impacte nécessairement le choix des artistes et la teneur des œuvres. Les artistes qui acceptent le jeu sont médiatisés et le public croit qu’il est connaisseur parce qu’en fait on ne lui renvoie que ce qu‘il sait déjà.
Pas d’exposition qui remette en question les codes de la société, ses travers ni les maniérismes artistiques qui ont transformé la pratique en petites formules à apprendre et à appliquer. Les curateurs, il y en a presque dans chaque coin de galerie, d’espace artistique…
L’art redevient du pur décoratisme et un amusement mondain. Les expositions deviennent des moments de distraction et de délassement au lieu d’être une invitation à la réflexion.
S’arracher le public, telle est la stratégie du curateur pour le réussir il faut séduire, et surtout ne pas déranger. Ce type d’intermédiaire inonde le marché, tente de prendre la place du galeriste et nuit réellement à la création.
Par Moulim El Aroussi