L’islam s’est appuyé sur ce qu’on appelle aujourd’hui la tamaghrabit pour s’enraciner au Maroc. Tamaghrabit n’est pas seulement une série de codes et de rites, c’est littéralement la personnalité propre à ce pays. Et cette personnalité est le résultat d’une histoire, une très longue histoire. C’est ce qui fait sa complexité et son caractère unique et à nul autre pareil.
L’islam n’est ni le premier, ni le dernier affluent venu rejoindre le long cours de l’histoire marocaine. Le pays que l’on appelait Al-Aqsa n’a jamais été une terra nullius ou une page blanche, bien au contraire. Avant l’islam, il y a eu le christianisme et le judaïsme, en plus des séquences romaines ou phéniciennes qui sont encore en voie d’exploration et qui ne nous ont pas tout dit. Après, il y a de grands mouvements – déplacements de populations venues de l’Est (tribus arabes), du Sud (tribus sahariennes) et du Nord (les refoulés de la péninsule ibérique). Sans oublier la parenthèse du double protectorat franco-espagnol.
Tous ces mouvements, toutes ces circulations ont apporté quelque chose qui est encore visible aujourd’hui. Cela va au-delà des traces archéologiques et touche à l’élément humain, c’est-à-dire le social, le rituel et le psychologique. À lui seul, le parler marocain témoigne de l’extraordinaire richesse de ces apports.
Si ces traces sont visibles, c’est que les greffes ont pris. Certaines plus que les autres, cela s’entend. Mais chaque greffe, grande ou petite, a laissé une trace et une contribution au «génome» marocain.
Les plus grands chirurgiens de médecine vous le diront : le produit d’une greffe est toujours nouveau, surprenant, et surtout impossible à contrôler, ni même à imaginer. Quand elle n’est pas rejetée, une greffe crée un nouvel ordre né du désordre. En passant de l’individu A à l’individu B, un organe vivant mute en un nouvel organe différent du A et plus proche du B. Une sorte de A + B, qui doit beaucoup au A, mais qui appartient au B.
Et ce qui est vrai au niveau de l’individu l’est encore plus à l’échelle de la communauté et de la société.
C’est la rencontre et c’est le brassage entre les hommes qui fait naître les grandes civilisations. Les grandes religions aussi. Et le brassage est avant tout un processus naturel. Parce que les hommes ne circulent jamais seuls ; ils arrivent avec leurs idées, leurs codes, et jusqu’à leur parler et leur manière de cuisiner ou de s’habiller.
De toutes les greffes, celle de l’islam, et bien au-delà de son aspect initial – essentiellement militaire – a été et reste la plus durable, la plus visible, la plus profonde. Mais il a bien fallu qu’elle se brasse et se fende dans la réalité de l’époque : celle d’un pays amazigh qui s’était déjà frotté à un certain nombre de civilisations. De ce point de vue, la réussite de cette greffe n’en est que plus méritoire.
C’est pour cela que la meilleure réponse à ceux qui demandent la définition de l’islam marocain, coule de source. Elle tient à cet axiome propre à toutes les greffes réussies : c’est du A + B, une rencontre et un brassage entre l’islam venu d’Orient et les réalités de la société marocaine qui vit à l’extrême-occident du monde musulman.
Par Karim Boukhari
Directeur de la rédaction