Pour être en phase avec le jargon zoologique de nos politiciens, et l’imagination ailée de ceux qui font des ânes des partenaires dans la contestation, j’emprunte cette image animalière décrite par Georges Orwell dans son «animal farm», de ces animaux révolutionnaires qui se sont insurgés contre l’ordre inique de l’homme, en le chassant de la ferme qu’il gérait en maître absolu. Ils voulaient, depuis qu’ils sont devenus maîtres de leurs destinés, établir un nouvel ordre de justice entre les animaux. Le slogan de la ferme révolutionnaire était «quatre pattes c’est bien, être bipède c’est mauvais». Les cochons qui étaient les plus intelligents, géraient la ferme en mettant en garde contre l’ordre honni des bipèdes et mobilisaient les moutons à bêler le slogan fondateur. Dans leur vie privée, les cochons commençaient à prendre goût à la vie des bipèdes. Un jour, les animaux, à leur grande stupéfaction, se sont réveillés sous les bêlements des moutons, «quatre pattes c’est bien, être bipède c’est mieux ». Ils étaient surpris et pensaient que les moutons s’étaient trompés. Et subitement, voilà que le grand cochon qui s’amène en se dandinant à deux pattes, comme les bipèdes, les ennemis d’hier, en martelant : «Quatre pattes c’est bien, être bipède c’est mieux».
Nos islamistes au gouvernement se sont accommodés avec ce qu’ils honnissaient et semblent donner écho aux béliers dans «animal farm» : «être cohérent c’est bien, rester au gouvernement c’est mieux».
Comme dans 1984, un autre roman d’Orwell, nos islamistes au gouvernement ont adopté la nouvelle langue ,« the newspeak », organe véhiculaire de la double pensée et qui a la particularité de délester les gens de leur mémoire. Le Newspeak est une langue où le mot veut dire la chose est son contraire. C’est l’arme redoutable des systèmes totalitaires. L’ignorance est une force. Le ministère de la vérité est le ministère du mensonge. Celui appelé de l’amour est celui de la torture. C’était au faite de leur gloire qu’Orwell avait critiqué les systèmes totalitaires. Il savait d’intuition qu’ils ne pouvaient tenir face à l’intelligence, ou tout simplement face au bon sens. Ils furent balayés quatre décennies après la publication de son livre, malgré leurs ogives nucléaires, leur maillage idéologique, leurs idéologues, leurs commissaires du peuple, leurs komsomols, leur Comintern, le KGB … Nos islamistes n’ont rien de tout cela. Ils ont vite initié un cours qui prendra du temps, mais qui est inéluctable. Ils ne pourront tenir en se faisant les adeptes, de sitôt, du Newspeak, ce que feu Driss Benali appelait, tkharbiq, c’est-à-dire l’absurde.
Il arrive des moments où la politique est affaire de foules. Phénomène savamment analysé par Gustave le bon. Il y a des séquences, où l’argent en est le levier, mais il y a d’autres, où c’est l’intelligence qui prend le dessus. Nous savons par ailleurs, que les mouvements politiques portés par les foules, ont été pauvres en termes d’apports à l’humanité, voire dévastateurs. Ils préparent par un phénomène cyclique le retour à l’intelligence. Ou pour rester modeste, à des idées, au lieu des instincts ou du ressentiment. Ce n’est pas le nombre qui fera, dans le cas d’espèce, la différence, mais plutôt la vision, la pertinence et la cohérence. Le champ public ne peut plus être un moment, celui des élections, ou des instances, les partis politiques. Car, in fine, élections ou partis politiques ne sont que des moyens pour dégager la volonté générale. Mais, quand celle-ci est travestie, il ne faudra plus tenir pour fin ce qui n’est qu’un moyen.
La ridda que nous vivons n’est pas forcément mauvaise. Elle prépare, en secret, l’alternative. Ne dit-on pas par ailleurs, que l’histoire évolue par le mauvais côté ?
Après les crocodiles de Benkirane, les ânes de Chabbat et autres reptiles et sangsues, n’est-il pas temps pour que les pélicans prennent leur envol. C’est-à-dire des éclaireurs qui prennent de la hauteur et qui ramènent la politique à sa vocation initiale, un corpus d’idées et non un faisceau d’instincts primaires et grégaires ? Il faut s’armer de patience, et comme disait Corneille : «Patience et longueur de temps font plus de force, ni que rage».
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane