Quand vous posez une question sur l’histoire de l’art, des étudiants marocains savent plus sur les grottes de Lascaux que sur les gravures rupestres du Haut Atlas, de l’Anti Atlas ou sur ceux de Smara et encore moins sur le Tassili en Algérie ou en Lybie. L’explication est toute simple, notre histoire a été écrite par des spécialistes de l’ère coloniale. Car après avoir découvert les merveilles de l’Andalousie et après avoir été admiratif du savoir et du savoir-faire marocain, l’idéologie coloniale allait transformer la vision des sciences humaines en Europe. On ne pouvait coloniser quelqu’un et dire de lui qu’il était intelligent. Il a fallu revenir aux schèmes de la pensée européo-chrétienne du temps des croisades.
Or les images que véhiculait l’Église pour déshumaniser le Mahométan s’arrêtaient à l’Islam contrairement à la pensée coloniale qui allait trouver la différence entre l’homme européen et celui des autres mondes dans les origines parfois biologiques. On entreprit alors de réécrire l’histoire du reste du monde selon ce principe. Et il fallait prouver la suprématie de l’homme blanc mais à tout point de vue, y compris au niveau de l’histoire matérielle. Il fallait inventer un narratif cohérent enveloppé dans une apparence pseudo scientifique et déployer un maximum de moyens pour l’incruster dans les esprits d’abord des colonisés.
Aujourd’hui que les anciens colonisés ont acquis un tant soit peu de connaissances sur leur passé et fait un minimum de recherches et de fouilles archéologiques, on commence à découvrir que l’histoire qu’on nous a vendue était fautive à plusieurs égards sur le plan méthodologique. Si on se limite au seul champ de fouilles au Maroc, on découvrira que juste depuis les découvertes de Jbel Irhoud, les thèses de l’histoire sont en train de tomber. On assiste à des réactions, parfois maladroites, des scientifiques occidentaux qui, juste pour la contradiction, s’efforcent à vouloir prouver que l’intelligence humaine ne s’est pas déployée en Afrique d’abord. On commence à évoquer l’Asie et bien d’autres contrées.
La découverte de plusieurs sites archéologiques qui attestent de la présence de l’intelligence humaine sur la terre marocaine n’est pas nouvelle. On multiplie les découvertes mais les conclusions historiques sont simplement stockées sans suite. Or quand on fait une découverte, il faut aller changer les livres, il faut intégrer la nouvelle connaissance et faire oublier l’ancienne, les scientifiques appellent cela l’erreur. Il n’y a pas de mal à cela, Gaston Bachelard, le père de l’épistémologie, avait déjà dit que l’histoire de la science c’est l’histoire des erreurs de la science. Aujourd’hui il faut surtout redéfinir et renommer les périodes historiques.
C’est ce qui pousse un certain nombre de chercheurs dans le domaine de l’histoire ancienne de demander à ce que les périodes historiques de l’humanité soient revues à la lumière des nouvelles découvertes. Les voix qui s’élèvent pour interpeller la communauté scientifique internationale, sont spécialement marocaines et nord africaines. Tout dernièrement, c’est le professeur Abdeljalil Bouzouggar, chercheur et Directeur de l’INSAP (Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine) qui a demandé à l’occasion de son intervention à l’Unesco à Paris à ce que la périodisation de l’histoire ancienne du Maroc et de l’Afrique du Nord, hérité de l’époque coloniale, soit revue à la lumière des nouvelles découvertes faites au Maroc depuis les années quatre-vingt-dix. Il affirme par ailleurs que le temps est venu de parler d’une école nord-africaine plus particulièrement.
Si les instances internationales de la connaissance historiques font trainer l’affaire et tardent à passer à l’action, que fait l’administration marocaine ? Il faut une décision politique pour qu’on apprenne à nos enfants, dans nos écoles et nos médias une autre forme de l’histoire.
Cela s‘appelle, décoloniser l’histoire ; la nôtre.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane