Gabriel Banon connaît bien la Russie de Vladimir Poutine, qui l’a engagé en 2005 au sein de son conseil de sécurité économique. Egalement expert en géopolitique, le Franco-Marocain de 94 ans nous a reçus chez lui à Casablanca pour nous livrer sa vision de la guerre que mène actuellement le Kremlin. Il considère que ce conflit était inévitable et que l’offensive russe relève plutôt de la stratégie défensive. Gabriel Banon revient également sur son enfance au Maroc et ses mandats auprès des présidents Pompidou puis Arafat. Retour sur le parcours doré d’un homme de l’ombre…
En tant qu’expert en géopolitique, quelle lecture faites-vous de la guerre menée en Ukraine par la Russie ?
Cette guerre, comme toutes les guerres, est évidement une tragédie, mais elle était, à mon sens, tout à fait évitable. Pour bien le comprendre, il faut rappeler quelques généralités concernant ce pays et son histoire. La Russie est depuis toujours esclave de sa géographie car elle n’a pas de frontière naturelle à l’ouest. Aucune chaine de montagne, mer ou fleuve ne la sépare donc du reste de l’Europe. À cause de cela, l’Histoire de la Russie est aussi celle des invasions polonaise, suédoise, française ou encore allemande. C’est pourquoi Vladimir Poutine, comme les présidents et les tsars avant lui, vise à constituer une sorte de glacis sur la frontière-ouest de son pays. C’est en tous cas la justification en ce qui concerne le conflit actuel en Ukraine.
Cette position est-elle justifiée à votre avis ? L’URSS n’a-t-elle pas fait preuve d’expansionnisme en son temps ?
Paranoïa ou pas, le fait est que les Russes ont la hantise de l’envahisseur. C’est un fait. Quant à l’URSS, elle ne faisait elle-même que reproduire une politique plus ancienne encore, celle de sécuriser ses frontières. Je ne pense pas qu’on puisse la qualifier d’expansionniste. Lorsqu’elle implose au début des années 1990, elle est déjà entrée dans le système capitaliste. La guerre froide est terminée et la logique aurait voulu que les pays occidentaux lui tendent les bras. Non seulement ils ne le font pas, mais ils maintiennent de surcroît une certaine pression sur la Russie. Ils ont choisi en effet de conserver la doctrine de Brzeziñski, du nom du conseiller du président américain Jimmy Carter, qui dit qu’il faut toujours considérer la Russie comme un ennemi. Pourtant, la Russie d’après l’URSS ne menaçait personne. Souvenez-vous que ce pays était littéralement en ruine et s’est même engagé à ne plus poursuivre une politique basée sur la force de ses armées. Tandis que le Pacte de Varsovie est dissout, le sénat américain vote pour l’élargissement de l’OTAN, y compris aux frontières de la Russie. Aujourd’hui, l’encerclement est presque achevé et il ne manque plus que le territoire ukrainien pour le compléter. C’est pour moi l’enjeu principal de cette guerre.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
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