La démocratisation des pays du Maghreb peut relancer concrètement le processus d’union et enclencher une nouvelle dynamique au sein de la région, mais aussi vis-à-vis des puissances occidentales.
La vague qui a déferlé sur le monde arabe en général, et l’Afrique du Nord en particulier, a initié un cercle vertueux, celui de la démocratisation qui est au cœur des revendications populaires. Dans quelle mesure les changements dus au «Printemps arabe» peuvent-ils conforter ou handicaper le processus de construction du Maghreb ? Une théorie puisant son origine chez le philosophe allemand Emmanuel Kant établit, dans sa version moderne, un lien entre la nature du régime politique d’un Etat et celle de sa politique étrangère. L’hypothèse est donc que les Etats démocratiques ne se font pas la guerre, voire qu’ils constituent entre eux une union pacifique. D’un point de vue empirique, ce postulat est illustré par les rapports pacifiques entre les puissances occidentales depuis 1945.
L’union et la démocratie font la force
Si le facteur «démocratie» a joué un rôle essentiel dans les relations entre les pays industrialisés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et particulièrement dans le fonctionnement de l’Europe communautaire, l’adoption de ce mode de gouvernement par les composantes du Maghreb peut-il jouer un rôle dans le rapprochement entre des pays qui ont besoin d’un détonateur pour donner vie à un projet qui est resté un rêve pieux pour plusieurs générations ?
Dans la perspective ainsi ouverte, la démocratisation (relative) de la région peut constituer une carte majeure. Elle ouvrirait la voie à une solution aux différends qui opposent les pays du Maghreb et qui les empêchent de livrer leurs promesses de paix et de coopération. Un rapprochement permettrait de sortir de la spirale d’une recherche effrénée et vaine de leadership et de cesser d’entretenir des contentieux artificiels et coûteux, bloquant le potentiel intégrateur de l’Union du Maghreb arabe (UMA). Plus de vingt ans se sont écoulés depuis la fondation de cette union, frappée hélas d’une profonde léthargie. Or, l’avenir reste celui des grands pôles régionaux.
Le Printemps arabe peut, par conséquent, être de nature à ouvrir pour les pays du Maghreb une perspective unioniste à même de relancer une dynamique certes velléitaire, mais ancienne et prometteuse. La répétition et la persistance des crises économiques mondiales peuvent aider à tisser des relations plus étroites en vue de créer un marché de production, de consommation et d’exportation dont les bases juridiques et institutionnelles existent déjà. Tous les Etats de la sous-région semblent avoir fait de la construction du Grand Maghreb une option stratégique reprise par les textes fondamentaux et répétée à satiété par les discours politiques officiels. Mais il manque la volonté politique de concrétiser ce choix.
Cependant, l’homogénéisation (toute relative) des systèmes et institutions politiques à travers la démocratie peut être un vecteur de paix et de relance de la complémentarité entre les pays de la région. Certains indices montrent qu’il y a quelques velléités de rapprochement. Les visites se sont répétées entre les nouveaux dirigeants des pays du Maghreb et un début de relance des relations semble s’instaurer. Même si une hirondelle ne fait pas le printemps, tout geste de bonne volonté au niveau du Maghreb crée de l’espoir.
Des conditions préalables
Mais cette dynamique reste tributaire d’un certain nombre de conditions. Tout d’abord, il existe des hypothèques qui devraient être levées au préalable. La résolution progressive des différends dans la sous-région est le pas principal à esquisser. Le blocage de la normalisation des relations entre le Maroc et l’Algérie, la question du Sahara, etc., figurent parmi les obstacles dont le franchissement peut réellement permettre de relancer l’UMA et de l’asseoir sur des fondements plus solides que ceux sur lesquels elle a reposé jusqu’ici.
Autre condition, les relations des pays du Maghreb avec le voisinage européen ne doivent pas parasiter les nouveaux processus de construction de la démocratie et de rapprochement entre les pays concernés. Ainsi, toute radicalisation politique (une salafisation à outrance, par exemple) peut intensifier les démons de la méfiance et le réflexe sécuritaire qui ont, jusqu’ici, présidé aux relations entre le monde musulman et l’Europe communautaire. L’Europe, riveraine de la Méditerranée et protagoniste de toutes les péripéties qu’a connues cet ensemble, a, depuis le déclenchement de la guerre civile en Algérie, essayé de maîtriser les flux venant du sud et de monnayer sa sécurité dans de nouvelles relations fondées sur le partenariat.
Or, toute levée de boucliers internationale risque de retarder la normalisation politique interne et internationale au Maghreb. Les grandes puissances sont parties prenantes dans tout ce qui se passe en Méditerranée. Du reste, pour elles, la démocratie est envisagée selon leurs propres standards. Le précédent de la montée du Hamas à Gaza et la réaction des grandes puissances sont éloquents en la matière. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les nouveaux hommes politiques, dont ont accouché les processus démocratiques au Maroc et en Tunisie, étaient présents lors du sommet du G20 sous un visage rassurant et responsable. L’éthique de la prudence est de rigueur pour laisser se renforcer cette vague de changement.
Plus de poids sur la scène internationale
Enfin, le Maghreb réconcilié avec lui-même peut être un partenaire et un allié décomplexé de l’Europe et des pays du monde, et surtout des pays traditionnellement liés à la sous-région (Europe latine en particulier). C’est dans ce sens que le système embryonnaire dont certains fondements existent déjà (géographie, histoire, solidarité de fait, brassages humains, rapprochement à travers de nombreuses initiatives dont les 5+5, etc.) peut constituer un espace de partenariat avancé et un instrument de règlement pacifique des différends.
La voix de pays crédités de démocratie est mieux écoutée au niveau international. Cependant, s’il y a une tendance à la naissance d’une certaine légitimité internationale liée à la démocratie et à la liberté, l’intrusion du facteur « démocratie » sur la scène internationale fragilise aussi les gouvernements s’ils venaient à être contestés par leur opinion publique. Ceci s’applique également à ceux qui sont issus du Printemps arabe. Or, dans la plupart des cas, les processus démocratiques générés par ce mouvement ont profité beaucoup plus à des partis politiques organisés et disposant d’un électorat discipliné, en l’occurrence les partis islamistes, qu’aux jeunes censés avoir déclenché ce printemps. De ce fait, le renforcement de la démocratie au niveau interne et la relance d’une UMA animée par l’idée de construction d’un espace de paix et liée par l’exigence de l’homogénéisation démocratique de ses composantes, sont autant de garanties qui peuvent sauvegarder les acquis introduits par cette vague de changement.
Les organisations régionales ou sous-régionales sont appelées à jouer un rôle de plus en plus dynamique au niveau des relations internationales. En Afrique occidentale, la CEDEAO est présente sur tous les fronts et se distingue par un certain dynamisme, comme par exemple en matière de défense des gouvernements considérés comme démocratiques. En même temps, elle permet à ses Etats-membres d’avoir des positions communes sur nombre de questions et de se présenter, ensemble, comme des interlocuteurs plus crédibles et plus influents au plan international. L’UMA peut remplir toutes ces fonctions au niveau du Maghreb si toutefois la volonté politique des gouvernements des pays de la sous-région va dans le sens de sa dynamisation.
Par Aziz Hasbi
Professeur à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Rabat-Agdal