L’enseignement revient dans la presse. Avec force polémique, titraille choc, hurlements au Parlement et émission spéciale consacrée à la télévision. D’habitude, le traitement est celui d’un marronnier qui dure le temps d’une rentée des classes et des campus. Juste pour resservir les mêmes épanchements d’indignation, de désolation et d’impuissance. Et puis, on passe à autre chose. Le sujet lui même a fini par avoir la réputation de ne pas être vendeur. Une simple évocation aussi ponctuelle est perçue comme une lapalissade désolante.
Que s’est-il donc passé pour que la question de l’enseignement remonte subitement dans la bourse des débats publics ? Début de commencement d’une approche prometteuse pour une problématique réfractaire ou regain d’intérêt en creux ? Tout a commencé par un colloque sur la crise de l’enseignement au Maroc où étaient invités un Conseiller proche du Roi et plusieurs autres personnalités du sérail. Après les aveux d’échec et les lamentations d’usage sur un système éducatif en faillite, on en est venu aux solutions et aux recommandations. Proposition a été faite d’adopter la darija (arabe dialectal) en lieu et place de l’arabe classique, au moins pour la maternelle et les premières classes de l’école primaire.
La proposition intrigue, en même temps qu’elle inquiète. Elle provoque des réactions en chaîne dans toutes les strates de la société et pas seulement dans le landerneau intellectuel. Abdellah Laroui, dont les apparitions médiatiques sont rarissimes, accorde une interview en cinq épisodes au quotidien arabophone Al Ahdat Al Maghribia et consent à un débat télévisé sur la deuxième chaîne nationale avec l’homme par qui le scandale est arrivé, Noureddine Ayouch, publicitaire de renom et activiste archi-connu de la société civile. Une première. À l’évidence, l’historien émérite et homme de culture à ratissage large n’est pas vraiment fait pour la télévision. C’est surtout sur les colonnes de notre confrère qu’il exprime, avec une colère à peine rentrée, son rejet catégorique d’un projet jugé à la fois superflu et dangereux. Il ne voit pas d’inconvénient à ce que la communication pédagogique, dans le préscolaire et l’entame du primaire, soit facilitée par une langue médiane entre darija et arabe classique. Mais sans plus, halte-là, s’exclame-t-il.
Pour Abdellah Laroui, la darija trouve son usage usuel dans l’espace public, tels le cinéma, la chanson, les séries télévisées, le théâtre ou les prestations des chansonniers. Autant de modes d’expression qui participent de la culture populaire et relèvent de l’oralité. Il n’y a donc pas lieu de confondre un parler quotidien avec l’arabe classique qui tient de l’écrit. Le temps et l’effort que l’on mettrait à grammaticaliser la darija, pour la transformer en langue écrite, seraient plus judicieusement consacrés à peaufiner et enrichir cette fameuse langue médiane. Par ailleurs, vouloir faire de la darija une langue de transcription, voire de production de concepts et d’œuvres de haute tenue intellectuelle constituerait, à terme, une coupure épistémologique avec notre patrimoine culturel qui a toujours été véhiculé par l’arabe classique. Un legs qui a servi de support linguistique à notre histoire et à notre identité plurielle. Se dissocier de ce continuum historique, estime Abdellah Laroui, nous ramènerait au IIe siècle de l’hégire, comme si nous étions une nation en balbutiement de fondation ou de refondation.
Si jamais le processus de « darijisation » était retenu et conclu à l’extrême, c’est-à-dire à l’écriture, il arrivera un jour où nous devrions traduire de l’arabe à la darija les œuvres des grands penseurs arabes dont La Moukaddima d’Ibn Khaldoun, par exemple. Et puis, quelle darija, s’interroge-t-il, du moment qu’il en existe plus d’une à travers le Maroc. Toujours est-il que le dialectal ne peut permettre d’accéder à l’universel. On comprend dès lors que Mokhtar Soussi ait choisi d’écrire en arabe, ce qui a permis à ses ouvrages de traverser des générations.
En définitive, le débat autour de la darija aura été instructif, mais par trop partiel. Il ne peut prétendre, à lui seul, résumer la crise du système éducatif marocain, dans ses aspects multiples et complexes. Il renseigne surtout sur le trouble de l’intelligentsia et le désarroi des familles face à cette crise qui reste ouverte. Le problème de la langue d’enseignement, étrangère ou nationale, selon les matières et les niveaux scolaires et universitaires, n’a toujours pas de réponse.
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Avec tous mes respects pour Abdellah Laroui, mais sa peur maladive de devoir traduire Ibn Khaldoun en darija est un faux problème! Ses propos traduisent plus une névrose presque théologique de l’intellectuel élitaire qu’il est.Il fait comme s’il y avait dans tout le Maroc des lycées ou des universités où des chairs khladouniennes sont prospères et très avancées dans l’exploitation des idées et de la pensée de cet érudit….Tant que les Marocains ne quittent pas cet esprit idéologique prêt à flinguer toutes les langues et tous les dialectes pour avantager la langue arabe, point de salut pour un enseignement marocain moderne et qui répond aux attentes de tous les Marocains. Des instances internationales placent l’enseignement marocain derrière celui de l’Irak, un pays qui est en guerre depuis des années!!! Quel étudiant, professeur ou simple homme / femme de la rue n’aimerait pas parler ou expliquer à ses parents et en darija s’il le faut, la fameuse idée khaldounienne de » l’assujettissement des individus à la Cité » ou d’un fait omniprésent dans la vie quotidienne des Marocains telle l’ « Assabia »…Pour finir, Laroui fait du plein idéologique sur le dos de la darija, ce que Ibn Khaldoun dénonce comme une « Daâwa »…Il est temps de rendre un grand hommage à un certain Abdelkébir Khatibi dont l’approche sur ce sujet est plus fine et multilinguistique pour arrêter de violenter une grande partie du Maroc par une langue arabe qui, soi-disant, devrait être à l’origine d’un certain monde divin ou une écriture sacrée…N’en déplaise à Laroui, les Marocains ne sont plus obligés d’accepter cette violence linguistique légitimée par des arabophones de touts bords. Le Maroc a connu, le long de son histoire, trop de violence pour savoir qu’ils ne peuvent plus vivre avec elle…Pour ne pas finir cette opinion sur ce mot de violence, j’aimerais rappeler que la syntaxe de l’arabe utilisé pa Laroui est ironiquement trop proche de celle du français…