L’habitation est le moyen que l’humain comme l’animal a inventé pour se protéger et protéger sa vie. Nous remarquons qu’à chaque fois que les animaux pressentent le danger, ils se dépêchent de regagner leur habitation. Les dangers peuvent être naturels comme les tempêtes, les déluges, ou les invasions…
Non seulement l’habitation doit protéger, mais elle doit procurer paix, sérénité et sécurité. Parmi les fondements qui procurent la paix, la solidité. Je veux dire par solidité, que j’emprunte ici à Heidegger, le fait d’avoir la certitude, sans y faire attention à tout instant, que la bâtisse ou n’importe quel objet que nous utilisons est là. Il n’est pas là uniquement par son utilité, mais nous lui faisons confiance en sachant qu’il nous ne lâchera pas. Quand nous savons, sans nul besoin de le formuler à chaque instant, que notre demeure tient contre tempêtes et averses, contre secousses et invasions, et qu’elle nous contient, nous retient et nous protège, c’est que la solidité est là. À notre retour du travail, d’un long voyage, ou d’une mission quelconque, nous revenons chez nous sans pouvoir expliquer la joie qui nous ramène là, plus exactement. C’est peut-être pour cela que la langue arabe utilise le mot manzil pour dire watan, qu’on traduit souvent par patrie. Notre habitation est notre patrie première.
Mais notre demeure vit et communique avec d’autres, tout comme le font les êtres vivants. Elle vit dans un milieu ambiant. Ce dialogue qu’elle entretient avec les autres bâtisses est l’oeuvre de l’architecte. Ils forment un ensemble qui m’accueille à mon retour, au moment où, fatigué, abattu ou déçu, je reviens chez moi. Je reviens dans l’enceinte de ma demeure. Mais avant de rentrer chez moi, je rentre dans mon quartier qui est fait de demeures du voisinage. Quand je foule le sol de ce lieu que je partage avec les autres, je me sens chez moi. La source de ma jubilation est la beauté de mon quartier et l’accueil qu’il me réserve. L’harmonie de ses demeures, la majesté de ses constructions et la chaleur de leur architecture.
Or, nous ne pouvons découvrir et déguster la beauté de l’architecture que si elle est enveloppée de silence. Ceci ne veut pas dire que les espaces doivent manquer d’animation. Certes, mais il ne faut pas qu’ils le soient exagérément.
Aujourd’hui des médinas comme celle de Fès, Casablanca, Meknès, Marrakech, Tétouan, Tanger… hébergent des populations qui dépassent de loin leur capacité initiale. Leur conception fut élaborée pour un nombre qui dépasse désormais ce qu’on voit. Des espaces de grandes maisons individuelles, qui étaient jadis conçues pour une seule famille, sont aujourd’hui redéployés pour former plusieurs petites habitations économiques et hébergent des fois plus de trente familles. Ceci impacte nécessairement l’espace. Or, nous ne pouvons découvrir le silence et le vide que quand nous marchons sans avoir peur de tomber dans un trou ou d’être heurté par une voiture, une moto ou une charrette tractée par une bête de monture.
Quand tu marches dans la ville et tu vois les maisons et les minarets, quand tu vois les gens abandonnés à leurs occupations dans une quiétude totale, malgré les brouhahas habituels, quand tu entends l’écoulement de l’eau dans les fontaines, le gazouillis des oiseaux sur les grilles des fenêtres, sur les arbres… Si tu vis ces moments de la sorte,sache que celui a construit et celui qui a conçu la ville ont laissé des vides pour que s’exprime la vie autour des personnes et des objets. Car l’architecture, en tant qu’elle tient et retient, doit être capable aussi de se retirer pour laisser s’exprimer l’être autour d’elle. C’est ce dialogue que le crayon de l’architecte institue depuis le premier trait tiré sur le plan. Si la solidité, le vide et la confiance viennent à manquer à l’architecture, sache que la terreur et l’anxiété seront aurendez-vous.
Sait-on maintenant pourquoi nos villes génèrent la violence, la déperdition et le désespoir ?
Moulim El Aroussi
Conseiller scientifique de Zamane