Sur vingt ans, le Maroc et l’Algérie ont changé profondément. Les deux pays ont changé aussi dans leurs rapports respectifs qui étaient marqués auparavant par une ambivalence constructive. Ils ne le sont plus. Dans la tension pérenne, les canaux n’étaient pas fermés, via l’informel, l’entremise des « frères », ou un code tacite. Avec des pics d’exaspération. Les relations étaient rompues depuis 1976, mais ceci n’empêcha pas les maîtres de la Mouradia d’inviter feu Hassan II au sommet arabe de juin 1988. Quand les frontières étaient officiellement fermées, elles étaient effectivement poreuses. On fermait l’oeil sur le trabendo d’Ahfir se rendant chez son cousin à Boukanoune. À pied. À quelques encablures. Et vice versa.
Les relations des deux pays ont gagné en « clarté » depuis vingt ans, c’est-à-dire depuis l’avènement de Bouteflika porté au pouvoir en avril 1999 et l’intronisation du roi Mohammed VI en juillet 1999, ce qu’elles ont perdu en intimité. Oui, nous avons deux ambassadeurs, ici et là, mais les frontières terrestres sont fermées. Avec des murs, des tranchées, des barbelés….
C’est surréaliste. Car au-delà de la vitrine de deux pays, deux Etats, deux régimes, et que sais-je encore, l’arrière-cours est la même, c’est-à-dire le même peuple, avec un parler similaire, hormis les accents qui peuvent changer d’une contrée à une autre au sein du même pays, les mêmes zaouïas, les mêmes musiques, les mêmes tribus, les mêmes traits et …. les mêmes défauts. Certes, la culture makhzénienne au Maroc en a limé certains ou exacerbé d’autres. C’est selon. Quand on est dans le bled « siba » ou ses rémanences, il n’y a point de différence avec le frère wasti. Walou. Qâh. Les appartenances ou les identifications se font de manière transversale. Un Tlemcénien se sent plus à l’aise avec un Fassi qu’il ne le serait avec un Kabyle, et le gars d’Azrou a plus d’atomes crochus avec celui de Tizi Ouzou. C’est un peu cette situation qui avait fait dire aux premiers explorateurs français débarqués au Maroc, que le pays serait une grande Kabylie, ou ce qui a fait dire à l’historien Daniel Rivet que le Maroc est un Maghreb en miniature.
J’ai toujours le souvenir quand, en 1989, l’association Fès-Saiss avait organisé une croisière maghrébine, et qu’à la veille du départ, on arpentait les ruelles de Fès, un Algérien avait dit à un autre, pour définir le Maroc : c’est une Algérie qui marche.
Je ne sais pas si la définition est valable ou l’était, mais elle ne rend pas moins compte de ce fond commun aux deux pays. Entre le fond et la forme, que devrons-nous faire ? Le statu quo est intenable. Le monde change. Les bourrasques soufflent. Nous sommes interpellés.
L’appel fait par le Maroc au dialogue est sage. Hassan II percevait la politique comme un champ d’agriculture. Il faut choisir le temps pour creuser, celui de semer, d’arroser, puis laisser pousser, avant de pouvoir récolter la semaille. La politique, et la diplomatie en est un avatar, pourrait être aussi un exercice didactique. Le propre de la pédagogie est la répétition. Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage, disait le sage Boileau. Mais c’est aussi cet exercice difficile de s’identifier à l’Autre. Comprendre l’Autre.
Trêve de sérieux ! Si on demandait aux femmes d’user de moyens de pression pour amener les «mânes» qui nous gouvernent à plus de raison. Aristophane devant la tension entre Athènes et Sparte, voulait ramener les maîtres des céans à de meilleurs sentiments en punissant les hommes de ne plus partager le lit avec leurs femmes. Châtiment suprême. Imaginez des marches de femmes sur l’artère de Mourad Didouche et une autre à Zerktouni, avec des banderoles, «le lit, oualou Ahnini». «Makkach l’amour», «timgharine d’un côté, les hommes iberdan n’ssen» «oua lkhawa, ouvrez les frontières et on ouvre nos coeurs et le reste…», on aurait le Maghreb illico presto. L’humoriste Fellag disait que la France était partie sans laisser de mode d’emploi. C’est un peu vrai. Et le mode d’emploi est diffus, ici et là. Ouvrons les portes, laissons la clarté pénétrer les esprits, et on finira par forger le mode d’emploi, le nôtre. Pas que pour nous-mêmes, mais aussi peut-être pour la France, empêtrée dans une crise existentielle.
N’insultons pas pourtant ces vingt dernières années. On reprendra comme dans ce beau poème de Rudyard Kipling, « if », comme si de rien n’était et on recommence. Un printemps se profile. And whichismore, on sera des citoyens, myson.
Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane