L’art contemporain a changé les paramètres de la création. Nul besoin de formation, ni de savoir faire, il faut juste créer le buzz par un geste, une action, une parole et le tour est joué. Des artistes, tels que Marcel Duchamp, Banksy ou autres, calculent bien leur coup, le méditent, le préparent et le lancent au bon moment. Banksy a bien fait détruire ce qu’il a appelé son oeuvre au moment même où un naïf la faisait adjuger par le commissaire-priseur. L’oeuvre devient alors deux : l’œuvre vendue, et l’œuvre/performance et détruite, qui remet en cause l’acharnement des collectionneurs sur la durabilité et l’éternité de l’œuvre.
D’autres se sont trouvés affublés du titre d’artistes contemporains sans en avoir la moindre idée. Dans le Monde arabe, un jeune journaliste irakien du nom de Mounthazar Zaïdi a vu son nom circuler dans les enchères internationales grâce à un geste qu’il avait pensé pour une chose simple et pragmatique. Il voulait, en s’appuyant sur la tradition locale, humilier le pays le plus puissant au monde en la personne de son président. Il a alors choisi le moment, calculé le timing, et accompli son geste quand les yeux du monde étaient rivés, en direct, sur l’événement. Son acte fut récupéré comme une performance artistique et l’instrument de son oeuvre, la chaussure, est non seulement rentré sur le marché pour devenir une valeur marchande, mais il a accédé à l’histoire de l’art auprès des souliers du célèbre Van Gog. Le journaliste irakien avait réfléchi la com’ aussi, il savait que les caméras du monde allaient être braquées sur sa performance. Son acte fut global, mondial.
Mars 2021, au Maroc, nous eûmes droit à un geste de la même nature. Malheureusement, il n’eut pas la même ampleur médiatique. Abdelilah Benkirane, l’ancien Chef du gouvernement, ancien chef aussi du PJD, islamiste notoire, sous le coup d’une de ses multiples colères, décide cette fois d’innover, de surprendre. Il récupère (comme on fait dans l’art contemporain) un papier qu’il alla trouver dans le «hanout» (épicerie) du derb, le papier craft, populaire. Populaire parce qu’il sert à emballer les petits morceaux de beurre, mais populaire surtout parce que les tolbas, ceux qui confectionnent des amulettes contre le mauvais œil, pour faire plier un amoureux rebelle ou tout simplement pour permettre à la chance d’être de votre côté, ces tolbas l’utilisent pour écrire leurs formules magiques.
Ce papier que l’épicier du coin utilise pour emballer a été récupéré, détourné et réinvesti par Benkirane pour un coup de gueule qu’il voulait historique. Il publie un manifeste où il menace de quitter les camarades qu’il ne kiffe plus. Il signe, comme le font les artistes en apposant dans un geste nerveux une boule de lignes, appuie son identité par le numéro de sa carte nationale, froisse le papier et le publie sur les réseaux sociaux.
L’oeuvre est sur tous les supports, mais aucun collectionneur ou marchand d’art n’a pensé à la mettre aux enchères.
Quelle injustice !
Par Moulim El Aroussi