C’est un presque centenaire qui nous a quittés, ce 6 février 2024. Son souvenir, lui, ne nous quittera jamais. Mohamed Bensaid Aït Idder fait figure d’exception dans le paysage politique marocain. Cette exception ne concerne pas seulement l’âge et le parcours du personnage, véritable encyclopédie vivante de l’histoire du Maroc depuis près d’un siècle.
Cette exception, il la doit surtout à son aura et à la place qu’il occupe auprès de ses nombreux «disciples» : c’est un homme aimé, respecté et écouté. Sans plus. Ce qui est déjà rare.
Il ne parle pas beaucoup, pas toujours, pas très haut. Mais il parle juste, il dit vrai. Avec le même accent soussi à couper au couteau qu’on lui a connu depuis tout petit, à Tin Mansour, son village natal.
Les discours et les tirades enflammées, que nos zaïms ont depuis longtemps transformé en moments folkloriques, ce n’est pas pour lui.
L’auteur de ces lignes se rappelle de cette anecdote qui en dit long sur le naturel du personnage. C’était en 2003, à l’époque du procès des «satanistes» : 14 jeunes musiciens et passionnés de hard rock avaient été injustement jetés en prison, à cause d’une série de méprises et de bêtises bureaucratiques. Bensaïd a été l’un des seuls, pour ne pas dire le seul chef de parti à soutenir ouvertement ces jeunes victimes et à tout entreprendre, lui et ses camarades du parti, pour tenter de les tirer d’affaire.
Quand tout fut fini, et que les jeunes ont enfin recouvré leur liberté, un gigantesque concert de «métal» a été organisé au complexe Zefzaf, à Casablanca. L’enceinte tremblait littéralement sous les vrombissements de cette musique «satanique», les jeunes hurlaient de bonheur après avoir tant galéré. Ils étaient dans leur monde, dans leur bulle, avec beaucoup de bruit, de couleurs et de fureur.
Et au milieu de ce vacarme extraordinaire, un vieux bonhomme débarque incognito, sans prévenir personne, marchant doucement, essayant de se trouver un chemin parmi la foule. Il ne s’est pas annoncé et personne ne l’a reconnu.
Cet homme, c’est Bensaid en personne. Il ne comprend rien à cette musique, mais il est quand même venu partager ce moment avec les jeunes. Et il n’attend rien de personne. Ce moment, c’est pour lui, pour l’homme qu’il est. En toute simplicité, rien d’autre.
L’auteur de ces lignes s’est littéralement jeté sur l’invité-surprise pour lui souhaiter la bienvenue. En lui faisant remarquer au passage que, fort heureusement, il ne mesurait pas forcément tout le tapage ambiant… Mais il a fallu répéter la phrase deux, trois fois, Bensaid souffrant de gros problèmes auditifs. À la fin, il sourit et dit, sur un ton badin : «Oui, fort heureusement !». Puis il s’en alla. Sur la pointe des pieds ou presque.
C’est pour ces détails, pour ces petites choses, que l’on aime sincèrement ce grand monsieur. Simple, intègre, honnête. En bref : authentique.
Et c’est pour cela aussi que l’on aime ce pays. Parce qu’il est capable d’enfanter un tel «phénomène». Agharas agharas (expression amazighe qui désigne un homme droit). Et sans façon.
Son exemple mérite d’être partagé avec le plus grand nombre. Surtout auprès de la jeune génération. Parce qu’il nous rappelle qu’il est toujours possible de faire la politique autrement, sans essayer de passer pour un autre et sans courber l’échine, en restant droit dans ses bottes.
Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres, que vous découvrirez en lisant le présent numéro de Zamane, Mohamed Bensaid Aït Idder incarnera à jamais cet indispensable trait d’union entre le Maroc d’antan et celui de demain. Pas n’importe quel Maroc, mais celui qu’on aime.
Par Karim Boukhari
Directeur de la rédaction