À l’entrée de l’une des ruelles de la médina de Marrakech, près de la place des Ferblantiers, un panneau signale la présence d’un musée. Il s’appelle Tiskiwine et a été fondé par Bert Flint, un Hollandais habitant dans ce quartier populaire depuis la fin des années 1950. Debout au milieu du patio traditionnel, l’homme affiche un grand sourire. D’emblée, c’est de sa collection fabuleuse qu’il entame la conversation. Les yeux pétillants, il en oublie même de nous proposer de s’assoir autour d’une table…
Comment un Hollandais du milieu du XXème siècle s’est-il intéressé aux arts musulmans ?
Au début des années 1950, j’ai décidé de devenir hispanisant, ce qui était plutôt rare chez les Hollandais. Je suis donc allé en Andalousie pour y achever mes études en langue espagnole. Sur place, j’ai été frappé par la beauté du patrimoine d’Al Andalus, notamment de l’Alhambra, témoin d’un passé glorieux dont je ne connaissais pas grand-chose. J’ai, par nature, une sensibilité visuelle aiguisée. C’est alors que j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à ce qu’on appelle l’art musulman. L’Andalousie m’offrait un panorama dans ce domaine qui me ravissait, et je ne pensais pas encore au Maroc. Seulement voilà, ce pays m’apparaissait un peu comme un mirage et je devinais ses contours depuis la rive de Grenade en temps clair. Au loin, je voyais le rocher de Gibraltar et je devinais les terres africaines à portée de vue. Ma curiosité va être satisfaite un peu par hasard, lorsque j’ai reçu une invitation pour assister à un mariage dans la ville de Tétouan. C’était en 1955, une année avant l’indépendance, lorsque Tanger était encore sous le statut de ville internationale.
De quoi avez-vous été témoin sur place ?
C’était un grand mariage dans la plus pure tradition andalouse. La maison, un ancien riad typique avec son patio central, était réellement féérique, sublime. Face à tel décor, il m’est subitement venu à l’esprit que je n’avais pas besoin de retourner en Espagne pour découvrir l’art musulman. C’est durant ce premier séjour touristique que je fais la connaissance de Mohamed Benaïssa, qui deviendra plus tard ministre de la Culture (1985-1992). Très proche de Mohamed Melihi, il a tenu à me présenter l’artiste marocain qui est aussi devenu un ami. Par ailleurs, le Maroc m’offrait les traces nostalgiques d’Al Andalus que je ne pouvais trouver ailleurs. Contrairement à l’Espagne, l’esprit d’Al Andalus n’était pas figé dans la pierre et les monuments, mais bien dans la culture des gens. Dès lors, je ne voyais plus d’intérêt à rentrer en Hollande pour y soutenir un doctorat sur l’Espagne musulmane. Je me suis donc décidé à m’installer dans ce pays inconnu, au grand dam de mes parents, qui voyaient pour moi l’opportunité de vivre aux Etats-Unis, véritable Eldorado des jeunes Européens qui ne croyaient pas vraiment en l’avenir de l’Europe, ravagée par la guerre une décennie auparavant.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’interview dans Zamane N°125