Nous devons à la Turquie le concept de «l’État profond» qui a fait florès dans la dynamique sociétale récente dans le monde arabe. La Turquie vient de forger un nouveau concept, celui de «la structure parallèle» pour rendre compte du rapport conflictuel entre l’État et le mouvement, initialement quiétiste, présidé par Fethullah Gülen, à la tête d’un grand réseau.
Fethullah Gülen, qui a su mettre à profit, très tôt, les nouvelles technologies de l’information, un réseau de solidarité au profit des démunis, un bras médiatique, le réseau des tekiya (l’équivalent de zaouïas chez nous), puisés du mystique Noursi, s’est imposé lentement mais sûrement au système laïc d’Atatürk. Le système éducatif autour du label al-fateh, non seulement concurrençait le système public laïc, mais le déclassait, gagnant des palmarès par les instances internationales.
Ce même système, qui a fait ses premières armes dans les républiques turcophones, commençait à lorgner sur le monde arabe, de l’Égypte bien sûr jusqu’au Maroc. La chaîne d’al-fateh s’est installée à Casablanca et à Tanger, et la revue Hira, libelle de bonne facture de cette nébuleuse, est imprimée au Maroc. Les nouveaux islamistes turcs, sous la bannière de l’AKP, devaient s’appuyer sur cette structure. Bien plus tard, la structure parallèle avec ses médias, ses hôpitaux, ses écoles, ses banques devint un État dans l’État qui menace l’État même.
Toute structure parallèle est un danger qui guette l’État. L’Italie l’avait appris à ses dépens dans cette structure, d’apparence anodine, de chaînes de solidarité dans les régions désolées de la Sicile. Les liens que ces déshérités avaient tissés avec les leurs, particulièrement aux États-Unis, leur avaient donné des ailes, par des sources de financement occultes. Ces structures, par leur efficacité, ont gagné la sympathie des petites gens face à l’incurie de l’administration. Par un travail d’entrisme, elles ont gagné les structures de l’État, la police, la justice, les industriels, les médias, voire les partis politiques. Le vecteur de l’argent, ajouté au réseau de noyautage des structures de l’État, avait l’effet d’une déficience de l’État. La structure parallèle a fini par basculer dans la violence et l’Italie en a été pour longtemps déchirée (lire Pax Mafiosa or war, twenty years after the Palermo Massacres, de Vincenro Scotti, ancien ministre italien de l’Intérieur).
Il serait hasardeux de faire des rapprochements hâtifs pour le cas marocain. Mais ne dit-on pas que la vision est de voir les choses invisibles ? Un embryon de structure parallèle n’a-t-il pas défrayé la chronique, lors des Communales de juin 2009, puis, dans la même foulée, des régionales, pour culminer avec le dossier hautement sensible du Sahara et son excroissance, les évènements de Gdeim Izik ? Une structure parallèle n’a-t-elle pas vu le jour, identifiable par un parrain, qui se définit par son extranéité à l’État, mais néanmoins disposant d’une grande influence au sein des arcanes de l’État ?
Tout cela donne à réfléchir, ou devrait donner à réfléchir. Dans notre métier d’intellectuels, nous n’avons que des questions à poser. Seul le temps apporte des réponses. Mais il paraît clair que, tôt ou tard, le clash entre la structure parallèle et l’État sera inévitable. Au niveau local, l’État s’est fait en Europe par opposition aux potentats locaux, seigneurs et condottieri (cas italien), et au niveau supranational, par opposition à l’Église. Les pouvoirs locaux ont muté et l’internationalisation leur a donné des ailes. Les sources de financement occultes, le trafic d’armes et de drogue, la contrebande leur ont donné des moyens d’action.
Des chercheurs algériens sérieux avaient établi un lien entre le trabendo (la contrebande) et les islamistes du FIS. Dans une analyse pertinente, Slimane Rissouni établit dans un quotidien de la place du 26 janvier dernier le lien, chez nous, entre la contrebande et le trafic de drogue dans la région du nord avec la dérive islamiste. Celle-ci va de l’enrôlement dans Daech, au salafisme jihadiste, sans oublier le chiisme. C’est aussi le levier de l’argent qui a permis à des trafiquants de drogue notoires, initialement liés à « la structure parallèle » d’intégrer le Parlement et se faire ensuite, de la Hollande, les chantres de « l’irrédentisme » du Rif de Hollande.
Ce serait, in fine, une structure parallèle à la structure parallèle, celle-là même qui a demandé à normaliser la culture du cannabis. L’inconsistance du discours de ces magnats et son incohérence est un indice qui ne trompe pas. Réfléchir, c’est tout ce que nous pouvons faire à notre niveau.
À bon entendeur, salut !
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane
une analyse profonde et bien détaillée.Bravo M.Hassan Aourid