Elle est probablement l’historienne marocaine la plus étudiée à l’étranger. Mais si ses travaux sont devenus une référence, son parcours, personnel et professionnel, reste moins connu. Son enfance, ses études, sa carrière, ses joies et ses peines sont confessés dans cet entretien privilégié…
Quels sont les objets de vos recherches actuelles ?
Je vous avoue que mon passage par l’administration (directrice de l’Institut des Etudes Africaines, entre 1997 et 2003) a beaucoup ralenti mon rythme dans la recherche. Malgré tout, j’essaye toujours de reprendre le cours de mes travaux, dont le plus avancé est probablement celui sur la formation des élites chez les Almohades. Je travaille également sur les habitudes alimentaires dans l’histoire du Maroc. Je m’étais déjà penché auparavant sur la cuisine médiévale dans El Andalus et au Maghreb en général. Récemment, j’ai mis la main sur un document exceptionnel qui a aiguisé, si je puis dire, mon appétit sur ce sujet. Il s’agit d’un traité de cuisine de l’époque Almohade. L’un des plus anciens de cette époque, à l’heure où l’Europe ne disposait d’aucun écrit de ce genre. Ce document est en réalité presque un livre de recette du moyen-âge.
Qu’apprend-t-on sur nous à travers l’histoire de la cuisine ?
D’abord que nous utilisons toujours quasiment les mêmes noms pour nos plats. Mais si les noms sont restés inchangés, les ingrédients, eux, sont complètement différents. Le circuit commercial n’était pas celui d’aujourd’hui et les produits cultivés non plus. Il est également étonnant de constater la complexité des recettes de l’époque, notamment la réalisation des sauces. Elles sont composées de beaucoup d’ingrédients, d’épices en particulier. J’essaye de comprendre comment et pourquoi la gastronomie a évolué au Maroc, et plus généralement au Maghreb. J’en conclus que, contrairement aux idées reçues, la cuisine n’est pas ce vestige de tradition ancestrale immuable. Elle est extrêmement évolutive et devient un reflet de la société de son temps. L’exemple du thé est aujourd’hui soulevé par des études, mais il reste le cas le plus représentatif de cette croyance. S’il est désormais considéré comme la boisson nationale, son introduction au Maroc ne date que du XIXème siècle par l’intermédiaire des Anglais. Il n’était d’ailleurs réservé qu’à une petite élite et restait inconnu pour l’immense majorité des Marocains.
Propos recueillis par Sami Lakmahri
Lire la suite de l’article dans Zamane N°97 (décembre 2018)