Le passé colonial pèse toujours beaucoup plus sur ceux qui l’ont subi que sur ceux qui l’ont fait. Il ne pèse pas moins, cependant, sur la France dans ses rapports avec ses anciennes colonies. Le rapport de Stora sur l’Algérie, présenté récemment au président français Macron, ravive des plaies. Pas que pour l’Algérie. Certes, l’Algérie est un cas à part, dans la mesure où elle était considérée «territoire français», et son indépendance fut un arrachement douloureux. Le dossier est épineux et sensible pour que je m’y attarde. Je n’ai pas de légitimité pour parler des rapports de la France à l’Algérie, ni pour épiloguer sur le rapport Stora.
Mais le rapport de la France au Maroc ne fit pas que des bienfaits, comme le voulait un projet de loi sur les bienfaits de la colonisation présenté sous Chirac en 2004, et vite retiré. Le président Macron, alors candidat, a osé dire ce qu’aucun homme politique français n’avait fait avant lui : «Le colonialisme est un crime contre l’humanité». Dans le rapport de la France à ses anciennes colonies, il ne s’agit pas que du passé, mais du présent et de l’avenir. La France n’a certainement pas fait l’Afrique du Nord, mais elle l’a façonnée. Et la tension qui y prévaut est un peu son œuvre, directement ou par ricochet.
Revenons au rapport de la France au Maroc. C’est la France qui a décidé le dépeçage du Maroc, en accord avec les Anglais, en 1904, pour céder la partie nord à l’Espagne et faire de Tanger une zone internationale. Je passe outre le grignotage opéré par les officiers français en Algérie, dans ce que Lyautey appelait la politique de tâche d’huile, dans son commandement à Ain Sefra, ou ce que le général De Lamoricière avait opéré avant lui, au lendemain de la bataille d’Isly, en redessinant les contours géographiques à sa guise. Le tracé et le bornage furent l’œuvre de la France. Ce sont des faits. Le Maroc a cependant souscrit au principe juridique international de successions des Etats.
Le «traité» de Fès n’est pas un traité à proprement parler. La partie marocaine n’avait rien négocié, et le sultan Moulay Hafid s’est trouvé face à un texte élaboré par l’ambassadeur Regnault, au terme duquel le sultan doit accepter «la protection» de la France et céder la partie nord à l’Espagne. Le sultan avait d’abord refusé de signer. Les forces du général Moinier encerclaient le palais et, de guerre lasse, Moulay Hafid a fini pas signer ce qui était en fait un diktat et non un traité. Je passe outre le vice de forme qui fait qu’un ambassadeur signe pour la France, et le représentant suprême du royaume, en l’occurrence le sultan, signe pour le Maroc.
La politique dite berbère de la France, initiée par le général Henrys et reproduite après lui, a laissé des traces indélébiles. Paradoxalement, ceux qui en pâtirent furent ceux que la France voulait différencier. Ils payèrent le lourd tribut. La bataille de Tazizawt à titre d’exemple, était un génocide, de l’aveu des officiers français. Pour longtemps, les Amazighs furent tenus en suspicion, suite au dahir dit berbère.
C’est encore la France qui a étouffé dans l’œuf l’élan unioniste de l’Armée de Libération dans le sud. L’opération Ecouvillon va déboucher sur des plaies qui ne sont pas cicatrisées. Les nationalistes marocains de gauche pensaient dépasser l’ordre inflammable légué par la France, dans une union des peuples. C’était le bien-fondé de la conférence de Tanger en 1958. On dira que la France a agi en sous-main, pour qu’une telle issue ne voie pas le jour. Peut-être. On ne refait pas l’histoire bien sûr. Mais la France a une responsabilité morale, pas que vis-à-vis de l’Algérie, mais aussi du Maroc, et des rapports entre le Maroc et l’Algérie.
Il n’y a de solution que dans la communion des peuples, ce qui rendra sans enjeu les tracés frontaliers hérités du colonialisme et ce qui s’y s’affère, comme nationalismes étatiques, selon l’expression de Stora, avec l’implication de la France, pour des rapports sereins, cordiaux et justes entre les trois parties : la France, l’Algérie et le Maroc.
L’affaire du Sahara est une conséquence d’une politique française bâclée, en parrainant les accords boiteux d’Aix-les-Bains, et en étouffant l’action de l’Armée de Libération. La France a l’obligation morale de s’impliquer pour mettre un terme à la tension qui prévaut en Afrique du Nord. Le Maroc n’était pas la création de l’ordre colonial, mais il a pâti de la politique de dépeçage opérée par les puissances coloniales. La France n’a pas à être frileuse sur l’unité du Maroc. Point de repentance, mais honnête témoin. La remarque vaut aussi pour l’Espagne…
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane
bon article, bon écrivain
Très intéressant.