Ainsi soupira Hamlet, dans ce célèbre vers : «Time is out of joint». Nous y sommes, dans un monde sans balises, sans repères, qui peine à avoir des paradigmes. Le Long Game se profile, dans le rapport entre la Chine et les Etats-Unis, et le Long Jeu tiendra le monde en haleine.
Que faire ? Rien. On pourrait se complaire en se disant que lorsque l’économie toussote, l’esprit s’éveille. Ou, pour dire les choses autrement, quand l’économie est en crise, il y a un appel à changer de paradigme.
Y a-t-il un à l’horizon ? Aucun. On s’accorde à dire que le néolibéralisme est en crise, mais l’antidote qui avait servi un temps, le keynésianisme, n’est pas à l’ordre du jour, même sous des nouveaux oripeaux, new something.
Les Cassandre promettent la guerre. Israël qui attaquerait le Hezbollah, sortant l’Iran de sa tanière. La Chine qui envahit le Taiwan, la Russie qui fait la guerre à l’Ukraine.
L’avantage des guerres d’aujourd’hui, c’est que le gagnant est plus perdant que le perdant, et dans les annales des guerres, la force ne résout rien. On n’est plus dans l’équilibre de la terreur, mais celui de l’absurde.
Le bilan des états-Unis en Irak, ou en Afghanistan ? Nul. Dans le monde d’aujourd’hui, on ne peut faire ni la guerre, ni l’amour. C’est un acquis.
Et pourtant, au bout du tunnel se dégagera la lumière. Le temps retrouvera son gond. Ou peut-être, le monde prendra forme, comme lorsque les laves d’un volcan cessent de se déverser du fond des magmas. Ce sera un nouveau monde. Et il y aura toujours une constante entre le monde ancien, qui n’est pas si ancien, et le nouveau, qui n’a pas pris forme : le règne de l’intelligence. Et l’intelligence, telle que définie par les psychologues, est mesurée à l’aune de la faculté d’adaptation.
Je ne parle pas pour le monde, ce serait trop ambitieux de ma part, mais pour mon pays, c’est osé, mais j’y ai droit.
Au risque de mettre les pieds dans le plat, je ne m’adresse là qu’à ceux qui vivent au rythme des idées, le noyau dur de l’état profond ; ne criez pas sacrilège, c’est ainsi, c’est là où on brasse les idées, si le mot Makhzen vous chiffonne, et quelques «illuminés», qui ne croupissent pas sous le joug d’une quelconque appartenance partisane, associative, corporative, ou emmaillotés dans des rets idéologique, et qui savent déchiffrer la carte du monde et lire en filigrane. Ceux-là, de bords différents, tablent sur l’intelligence, c’est-à-dire la faculté de s’adapter. Je ne peux m’adresser là à ceux qui sont dans l’affect, ou les réflexes. Qu’ils restent au chaud dans leurs strapontins, ou leurs pantomimes.
Il y a de cela un an, j’avais poussé un cri de désespoir, dans un organe arabe, «rien ne me plait», paraphrasant le grand poète Mahmoud Darwish. Je n’y suis plus. Les idées ne valent que dans le contexte où on les dit, nous prévient Samuel Becket. On ne se contredit pas, on évolue, suivant le mouvement des vents, ou des idées. Le Maroc, cette portion de l’Europe collée à l’Afrique, trouvera son destin, et fera le chemin de la modernité, sortant de cette éternelle antichambre, pour citer l’historien Mustapha Bouaziz.
Le Maroc jettera en douce les amarres qui l’enchaînent, sans cor ni trompette. Avec de nouvelles idées, et de nouvelles élites. Il y aura bien sûr quelques batailles d’arrière-garde, mais ce sera un baroud d’honneur. L’issue est scellée.
Tant pis si je me trompe : dans ce nouveau métier, qui est celui de griffonner des mots et fixer des idées, on a droit à l’erreur. Un intellectuel est un démineur qu’on lance au front, et tant pis s’il saute, la troupe peut aller à l’assaut sans crainte. Nuance, je ne vous parle pas pour quelques semaines, quelques mois, ou pour une année.
Oui, un nouveau jour se profile à l’horizon. Sans nous dispenser de quelques grabuges qui sont le prix à payer pour les nouveaux choix stratégiques et la crise dans le monde. Mais quand la géographie et la volonté des hommes s’accordent, l’Histoire plie. C’est assez énigmatique, n’est ce pas ! Le Maroc sera meilleur. Est-ce clair désormais ?
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane