Un isthme sépare le Maroc et l’Espagne, mais il n’a jamais été une barrière géographique, ni historique. L’un et l’autre se sont vus en vis-à-vis, et le continuum de l’autre. L’Espagne est au Maroc, par des Ibères qui ont fait souche, et par l’héritage hispano-mauresque. Et les Maures y sont par un riche héritage matériel et immatériel qui fait la fierté de l’Espagne. Nous partageons un riche patrimoine commun. Quelques stratèges espagnols coloniaux, pour étayer leurs revendications sur le Maroc, avaient même osé dire que le Maroc et l’Espagne forment une même nation. Ce n’est pas une lubie. La barrière était plutôt idéologique et son avatar politique. Chez ceux qui se reconnaissent en la pureté culturelle et qui irriguent la droite, côté espagnol, et ceux chez nous nostalgiques d’un passé fantasmé. Mais de part et d’autre, la raison prévalait. Avec quelques relents regrettables d’un passé colonial qui pèse toujours. Mais des zones d’ombre demeurent.
Vient en prime, la question du Sahara. Nos amis espagnols savent que c’est la marocanité du Maroc qui est défendue à travers le Sahara. Ils savent que l’administration de la Saguia Hamra et Tirs, qu’ils avaient baptisé Rio de Oro, relèverait du commissaire général à Tétouan, et que c’est à l’administration coloniale que revient la confection du «pueblo sahraui» dans les années 1960.
L’Espagne détient le fonds historique du dossier et saisit la portée stratégique du conflit. Mieux que personne. On sait qu’on peut forger des mensonges et finir par y croire. A-t-on vu un peuple qui se définit par une configuration géographique (oued, île, montagne ou Sahara) ? Pourquoi les habitants du Kalahari n’auraient pas droit dans le «vaillant combat du peuple sahraoui», parce qu’ils sont Sahariens, et pourquoi pas ceux du Rob’ al-Khali, puisque nous y sommes, et pourquoi pas Gobé ? Et pourquoi ce «peuple» s’arrêterait, par magie, au tracé de ce qui était le «Sahara espagnol» ?
Trêve de plaisanterie. L’Espagne doit cesser son ambiguïté sur la question du Sahara. Il y a une réalité historique bien réelle, que celle qui a été forgée par les colonialistes espagnols. Et c’est la clarté sur cette réalité qui détermine un devenir commun entre le Maroc et l’Espagne.
L’Espagne, état souverain, certes, mais lié par des relations qu’elle considère privilégiée avec son voisin du sud, serait-elle dispensée du minimum de courtoisie que commandent des relations diplomatiques ? Informer, à défaut de se concerter avec les responsables marocains dans sa décision d’abriter un recherché par la justice, chef de bande, qui traine tout un passif d’exactions et de violations des droits de l’homme, dont sont victimes des ressortissants espagnols de surcroît.
Raisons humanistes, dit-on à Madrid. Accepteront-ils, chez nous, qu’un dirigeant de l’ETA vienne en cure thermale, et d’invoquer des raisons humanitaires ? L’Espagne l’accepterait-t-elle ? Pourquoi ne pas recevoir Carlos, et puisque nous y sommes, accueillir des terroristes, qui auraient sur la main, la vie d’innocents, pour se faire soigner, et invoquer des raisons humanitaires. ?
Mais, au-delà de l’affaire Ghali, l’Espagne doit se dégager de son passé colonial. Elle sait mieux que quiconque que le Maroc n’est pas une création coloniale. Il avait fait l’objet de convoitises par les puissances européennes, et fut dépecé en conséquence. Il a récupéré par un long et laborieux processus diplomatique, la partie nord, puis Tarfaya, ensuite Sidi Ifni, et n’avait jamais cessé de revendiquer Saguia Hamra, avant même que l’Espagne ne forgeât la lubie du «peuple sahraoui»…
Nous voulons croire à une alliance des civilisations. Nous croyons, comme l’avait dit le philosophe espagnol Ortéga Y Gasset, que l’Espagne a quelque chose à dire à l’humanité. À condition qu’elle guérisse de son passé colonial. L’Espagne avait considéré le Maroc, depuis la guerre de Tétouan en 1860, comme son espace vital. Elle continue toujours sa politique coloniale par l’ambiguïté qu’elle entretient sur le conflit du Sahara.
Hassan Aourid
Conseiller scientifique de Zamane