Comme du temps où la crise de la baie des Cochons qui tenait le monde en haleine, au début des années 1960, avec la perspective d’une guerre nucléaire entre les deux superpuissances, on vit actuellement un remake avec la crise ukrainienne, mais qui n’a rien d’idéologique. La crise tient à la prééminence des Etats-Unis d’une part, et à la zone d’influence russe, voire à son orgueil, d’autre part. Poutine avait refusé, comme cela a été énoncé par Madelaine Albright lors de sa première rencontre avec lui, à ce que l’ours se contente de manger le miel pour finir domestiqué. Le maître du Kremlin a battu ses cartes en 2007, lors d’une rencontre sur la sécurité à Munich. Il a vu la faille dans le tableau de bord du monde, le monde arabe, avec la déroute américaine en Irak en 2003. Depuis, rien ne va plus entre le nouveau Tsar et les Occidentaux.
Poutine, un ancien du KGB a gardé au travers de la gorge l’humiliation infligée à son pays, le refus opposé à ce qu’il fît partie du grand Occident, l’extension de l’Otan, dans l’espace vital de la fédération russe, héritière de l’Union Soviétique dont elle garde les déterminants géographiques, la culture politique, à défaut de l’idéologie communiste.
Alors, guerre ou pas guerre ? Non. La partie est jouée et gagnée par Poutine. En ancien komsomol, il fait la distinction entre tactique et stratégie, et en tant que germanophone, il sait qu’on peut inverser la maxime de Clausewitz : la politique est la continuité de la guerre par d’autre moyens… Il a gagné la guerre sans l’avoir mené.
Il a bien sûr des atouts. La Chine, devenue acteur économique planétaire, perturbe le jeu occidental. Les valeurs de l’Occident de liberté (essayez d’avoir un visa), de droits de l’homme, (avec la montée de l’extrême droite et de l’islamophobie) ou de démocratie (les corps intermédiaire en panne) sont mises à mal. L’Occident peut-il encore se présenter comme la conscience du monde ou son phare et annoncer la «fin de l’Histoire» ? Plus grave, l’Occident n’est plus un bloc monolithique. D’un côté l’Allemagne, plutôt empathique à l’égard de la Russie, la France soufflant le chaud et le froid dans l’exercice où elle excelle le plus, le verbe, et la Grande Bretagne, le premier état des états-Unis d’Amérique, au diapason de la fille patrie. On ne peut s’attendre à moins.
Décidément, c’est l’Empire éclaté, pour reprendre l’expression d’Hélène d’Encausse, il y a de cela 40 ans, pour annoncer la chute de l’Empire du «mal», mais cette fois-ci c’est l’Empire du «bien» qui est menacé d’éclatement…
Mais on ne peut négliger aucune hypothèse et, si par malheur, la guerre éclate, elle risque de se généraliser, et l’on doute fort, dans le cas d’espèce, qu’elle puisse épargner notre région. Le jeu risque d’être généralisé, dans les zones d’influence… C’est à ce titre que l’on suit la guéguerre des Slaves. Sinon, de quoi se mêle-t-on, dirions-nous. Comme la partie semblait simple quand les états-Unis avaient actionné le chapitre 7 de la Charte des Nations pour sévir contre l’Irak, après l’invasion du Koweït, refusant toute issue diplomatique ! C’était la kermesse voulue pour imposer son imperium. Peuvent-ils faire de même aujourd’hui ? Impossible. Bof, Goethe avait vu juste dans son Faust : le premier acte est libre en nous, nous sommes esclaves du second. Pour se faire entendre par l’Occident, il faut être plus occidentalisé que lui, froid, cynique, calculateur, voire rancunier.
Les Chinois et les Russes l’ont compris… Chez nous, c’est du côté d’Ibn Taymiyya qu’on lorgne. Grand bien nous fasse. Essayez de revoir nos programmes scolaires, et vous verrez le tollé que cela pourrait provoquer. Mais ne nous plaignons pas, si personne ou presque ne nous prend au sérieux.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane