Partir de chez soi, émigrer, aller au-delà des frontières est certes une expérience unique. Partir de son propre gré, pour découvrir les secrets des autres cultures, est un bonheur que peu de gens peuvent se permettre. Mais partir obligé sous la contrainte climatique, politique ou ethnique ; à cause des guerres, de la peur ou d’une quelconque menace, est un déracinement insupportable. Le cas de l’Afrique depuis que l’Europe a occupé le devant de la scène au XVème siècle, est éloquent. Si les Européens partaient volontairement de chez eux en Amérique, en Australie ou en nouvelle Zélande pour s’installer définitivement dans ces contrées, les Africains par contre ont été forcés de quitter leur terre natale. Capturés comme des bêtes, enchaînés dans les cales des navires, ils ont été vendus en esclaves aux Amériques et partout en Europe.
Les juifs ont eu eux aussi à vivre ces départs forcés plusieurs fois dans leur histoire. Après avoir traversé le détroit de Gibraltar pour s’installer en Andalousie pendant des siècles, les forces de la Reconquista les avaient empaquetés dans des bateaux pour les envoyer chez leurs cousins, les Africains et les Arabes, dans des conditions humaines difficiles à décrire. Mais ceux qui, par chance, avaient échappé à la déportation et réussi à passer dans les autres pays européens, notamment en Hollande, ne savaient pas ce que leur réservait l’avenir. Au XXème siècle, le monstre est revenu à la charge et, sous prétexte de les protéger, on les chassa encore une fois, mais cette fois-ci d’une manière globale. On fit miroiter le rêve d’un pays d’origine et on déracina des millions de juifs de leur terre d’origine partout à travers le monde.
Partir est intiment lié à ce concept très peu clair de pays d’origine. Mais que veut dire pays d’origine ? Les Américains sont-ils dans leur pays d’origine ? Le continent qui s’étend sur une longueur de 16000 km héberge très peu de population d’origine. Il est aujourd’hui, depuis cinq siècles d’implantation, majoritairement européen du moins de culte et de culture.
Le pays d’origine serait-il celui de la naissance ou de la prétendue appartenance par le sang ? Si on retient la deuxième proposition, les Européens seraient, selon les fouilles, des Africains du Maroc. On raconte à partir d’une histoire reconstituée par les savants paléontologues, que les habitants de l’Europe, ceux dont la peau est blanche, les yeux et les cheveux clairs, et qui considèrent qu’ils sont fondamentalement différents de leurs semblables qui habitent au bord de la rive sud de la Méditerranée, sont partis de la région de Fès. Cet homme originaire de l’Afrique serait passé, quand la Méditerranée était encore séparée de l’Atlantique, en Europe, aurait mangé son cousin qui y habitait et se serait installé définitivement sur ce continent.
La peur que nourrissent aujourd’hui les fachos de l’Europe à l’égard de leurs cousins africains viendrait-elle de là ? Est-elle restée inscrite dans les gènes, les ADN et les inconscients collectifs ? Aujourd’hui que les Africains partent de chez eux, se proposent comme nouveaux esclaves, juste pour échapper à la peur, ou à la mort, que veut dire «Partir» ? L’Europe est passée par l’Afrique, a pris et continue à prendre les richesses, mais elle a laissé un modèle, de vie, de penser, que les Africains n’arrivent pas encore à installer chez eux. Alors ils partent vers ce modèle, ils traversent les brousses, les déserts et les océans. Au Maroc nous les voyons défiler chaque jour sous nos yeux, dans des situations dégradantes, on assiste incapables à cette procession humaine vers un avenir incertain.
Aujourd’hui, l’Europe monte d’un cran, on y cherche à imposer un passeport sanitaire qui vous permet d’accéder au monde libre, replet et sain. Si vous êtes africain, que vous êtes malade et que vous voulez partir en Europe pour vous faire soigner, il faut prouver que vous ne portez pas le virus, que vous n’êtes pas malade.
Il faut avoir reçu le vaccin dont on vous a privé.
Par Moulim El Aroussi, conseiller scientifique de Zamane